Yoongi ne se souvient plus de rien, pas même du pourquoi du comment il a perdu la mémoire. Un visage, parfois, revient dans ses rêves, mais, déformé par son propre esprit, seules des lettres isolées se forment sur ces yeux vides de souvenirs.
Et pu...
"Words flooded, mouth shut, Your eyes keep on bringing back memories And your face reminds me of our old days. Far, far away from me You're standing still, Words flooded, mouth shut, Waiting for me to remember."
★彡
« T—-..//?!-/?!!!, tu sais, j'essaye. Franchement, j'essaye ! Mais je t'ai déjà dit que je ne voulais pas ! -Je ne te demande pas la lune, non plus ! -Bien sûr, m-mais... -Mais quoi ? Tu es content de ton caprice ? C'est bon, tu as fini ? -T-Ta—-..>[?!...»
Yoongi revivait son souvenir à la première personne. Il était rare qu'il ne fasse pas un plan d'ensemble, son visage déformé par sa mémoire incapable de restituer l'angle de vue. Ses mains se débattaient entre les poignets de l'innommable et perpétuel inconnu, la poigne forte et les veines saillantes sur son bras.
Si jusque-là, un sentiment de sérénité et de puissante attraction émanait de la figure brouillée, à présent l'ancien Yoongi éprouvait de la peur, de la colère qui avait un goût salé, amer, et s'il ne pouvait pas se voir dans un miroir, il sentait sa bouche tordue et ses yeux mouillés tirer sur le désagréable ressenti du moment.
« Yoongi, tu m'écoutes ? Je me fous de ce que tu penses. Tu comprends ? C'est pourtant simple. Tu n'es rien, complètement inutile. Complètement gelé. Tu ne peux pas bouger de toi-même. Tu as besoin de quelqu'un pour faire battre tes ailes. Tu as besoin de moi. Tu as décidé que ce serait ainsi. Alors, quelle que soit ta volonté, quel que soit ton refus, tu es à moi, à moi, Yoongi. Tu n'as pas la liberté ou même l'audace de me contredire. Tout ce que tu sais faire, c'est prendre, prendre des autres ce dont tu as besoin. Et je comprends ça, tu sais ? Seulement, tu as cru que tu pourrais faire de moi ton repas. Et ce n'est pas le cas. »
Il reprit son souffle.
« Et à force de ne vouloir que moi, tu t'es pris au jeu. Et tu es désormais incapable de te séparer de ton rocher, comme un coquillage, aussi délicat soit-il, tu ne peux pas dériver indéfiniment, et on dirait que tu as particulièrement mal choisi ton emplacement. »
Yoongi tremblait.
« Tu as peur ? C'est tout à fait compréhensible. Mais c'est toi, toi seul qui t'es fourré dans ce qui te paraît à l'heure actuelle si injuste, si faux et dissonant. Je ne peux pas être désolé à ta place pour ce que tu fais subir aux autres et à toi-même. »
L'homme posa le plat de sa paume sur les yeux de l'amnésique, couvrant sa vision d'un liquide noir, épais et visqueux. Collant. Presque oppressant. Ses lèvres en furent couvertes de la même manière, ses dents accrochant, mordant plus fort la matière sombre pour la faire fuir. Mais ce n'était pas un animal, ni aucun être réel ou vivant. Quoi que c'était, il ne répondit pas à la morsure, et au contraire s'engouffra plus profondément. Quoi que c'était, cela n'existait pas.
Son visage en fut recouvert, comme une membrane de serpent, si fine qu'il pouvait encore voir T—-..>[!?!! à travers. Il avait l'impression de muer. De se débarrasser d'un poids en s'identifiant totalement aux paroles de son interlocuteur. Relâchant ses muscles des poignets, il s'éloigna un peu, son dos frôlant le mur froid.
Deux yeux perçants étaient toujours posés sur lui, trahissant l'indolence de leur relation.
⁈
De ce rêve au précédent, tout avait changé, de l'atmosphère à la conception du lien entre lui et l'inconnu. Combien de temps s'était-il écoulé entre le premier et celui qui avait causé à Yoongi le premier black-out depuis son réveil ? Il était prêt à partir de l'hôpital, ayant enfilé un jean large, un gilet à capuche avec la mention « Yosemite Park », dont la fermeture éclair était remontée à la moitié, qui cachait le tee-shirt large bleu turquoise uni. Il s'agissait sans doute de ses propres vêtements, mais il ne les reconnaissait pas. L'odeur non plus ne lui était pas familière. Rien ne suivait la ligne qu'il s'était tracée mentalement.
Sans surprise, il lui était impossible de sourire à la vue d'une certification de son existence passée.
Avait-il neuf vies, comme un chat ? Pouvait-il oublier l'une d'entre elles comme un serpent se sépare de sa peau ? Ou bien était-il aussi faible qu'il s'était senti auprès du récurrent personnage de ses songes ? Un insecte charognard, s'accrochant aux dépouilles qu'il trouvait ? Rognant les cadavres pour en tirer de quoi vivre ?
Avait-il été ce genre de personne ? Son sens de la morale avait-il déjà penché en ce sens ?
« Yoongi, ça va ? Tu peux rester ici si tu ne vas pas bien... » s'inquiéta Jungkook, une main sur son épaule, alors que l'amnésique ouvrait des yeux encore ensommeillés sur le monde qui l'entourait. Ils étaient juste devant l'entrée automobile de l'hôpital, dans une voiture un peu vieillotte, une feuille d'érable en verre fin pendant au rétroviseur. L'endormi se demanda qui accrochait ce genre d'ornements à son pare-brise, avant de porter son attention sur les yeux en amande, brillants, qui suivaient la ligne des sourcils dans une expression consternée.
« Je vais bien. Je crois. Je ne suis pas sûr... -Tu veux retourner là-bas ? -Non, c'est bon. Je ne veux pas être malade. Pas à cause de... ça. »
Pour le rassurer, Yoongi sourit, avant que son interlocuteur ne reprenne le volant pour sortir du parking. Et le voilà qui partait chercher quelqu'un dont il ne savait rien dans un environnement inconnu, sauvage, et lui, seul avec ses rêves qui ne faisaient que confondre le paysage sous ses yeux en une masse informe de couleurs, faisant écho à chaque détail dont il se souvenait.
Une autre planète, il avait vécu sur une autre planète. Dans un autre univers, une autre galaxie, qui n'existait plus.
Et c'était précisément là où il devait aller, chercher, fouiller pour savoir qui il avait été, qui étaient ces gens qui l'entouraient et dont il ne savait rien, pour savoir qui, quoi, quand avait été avalé par le lac opaque et l'océan infini le submergeant jour et nuit.
——————— ALERTE AU YOONGI MULLET JE RÉPÈTE
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