2. A world that knows me

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Qu'importe la direction dans laquelle il regardait, tout était intensément sombre. Perpétuellement glué au sol, dans l'incapacité de bouger ses membres, la boue recouvrait ses yeux, s'incrustait dans sa bouche et l'étouffait, accrochait ses dents et sa langue, glissait sur ses gencives comme un rasoir, laissant un amer goût de sang dans sa gorge.

Il était trois heures du matin, et Yoongi, bien malgré lui, ouvrit ses yeux affolés sur l'oreiller blanc et rugueux. Ses doigts étaient contractés sur sa couette, comme s'il essayait de se sortir de son cauchemar en se ramenant dans un monde dont il ne savait plus rien, comme s'il essayait d'échapper à celui qu'il poursuivait.

Le gobelet à moitié vide, posé sur sa table de chevet, donnait un air piteux à la scène, vide, abandonné. Il ne pouvait s'empêcher de penser que sa chambre le reflétait beaucoup trop.

— 10h37 —

Jungkook n'était pas venu. À la place, un médecin qui se disait venir du service psychiatrique et rétablissement de maladies psychiques, une feuille accrochée à une chemise à la main, un stylo cliquetant dans l'autre.

« Bonjour, Yoongi, je suis le docteur Tam O. »

Il s'assit, et fit un vague sourire avant de reprendre :

« Pouvez-vous me décrire ce dont vous vous souvenez ? » demanda t-il, calant son dos contre le dossier, fixant désormais son patient, qui tenait son thé fumant entre ses doigts en tapotant contre la tasse pour en atténuer la sensation de brûlure.

« C'est toujours très flou, » commença t'il, « mais je me rappelle... »

Était-il nécessaire de raconter son rêve dans ses moindres détails ? Peut-être était-il plus discret de seulement mentionner l'existence de cet homme.

« Quelqu'un. »

Son interlocuteur haussa un sourcil.

« Quelqu'un ? Comme celui qui vous rend souvent visite ?
-Non, il me semble qu'il s'agit d'un autre. Celui dont j'ai rêvé avait des épaules plus larges et des cheveux plus courts.
-Peut-être avez-vous mal vu. Ou bien, votre inconscient déforme vos souvenirs pour les rendre plus...lointains.

Yoongi haussa les épaules, peu convaincu.

« Quelque chose d'autre ?
-...Non. »

Il écrivit quelques mots sur sa feuille, d'une écriture presque illisible, puis releva la tête, fixant son patient, cliquetant à nouveau son stylo pour en rétracter la mine.

« Quoiqu'il en soit, d'ici quelques heures, je reviendrai avec un formulaire. C'est à vous de décider si vous souhaitez poursuivre un traitement dans l'hôpital, et être transféré dans l'aile psychiatrique, ou si vous vous pensez en état de sortir dès la fin de la semaine prochaine. Vous avez le temps d'y réfléchir. »

En sortant, il referma la porte, et laissa un homme totalement hébété devant la proposition qui lui avait été faite. S'il choisissait de partir, il était certain qu'il ne retrouverait pas la vie qu'il menait avant. Il n'était même pas certain que cette dernière était aussi bonne qu'il se la dépeignait.

Jungkook l'aiderait sans doute à se réhabituer...mais l'heure des révélations serait alors encore plus terrible. Il s'imaginait mal lui dire que depuis le début, il jouait la comédie et profitait de son amour sincère pour reprendre pied. Cela revenait à dire qu'il le coulait pour que lui puisse reprendre de l'air.

Pour autant, le service psychiatrique était assez peu envisageable. Cette option paraissait trop exagérée, trop forte pour un simple cas d'amnésie après un accident. Et puis, il n'était ni dépressif, ni fou, ni rien qui nécessitât des soins de ce genre. Il n'aurait rien à faire dans un tel endroit.

Que faire ?
Comment pourrai-je redevenir l'ami d'un monde dont je ne sais plus rien, et qui lui connaît tout de moi ?

Il n'était pas du genre à s'auto-motiver, ni à être particulièrement tenace, mais cette fois, il devait à l'ancien Yoongi d'essayer.

Celui qui était si froid et pâle, comme une fumée rejoignant les nuages et se confondant dans la masse, devenant alors invisible à lui-même, cessant totalement d'exister en-dehors du tout confus.

Cette fois, le songe était clair, précis et net.
En y réfléchissant, il était de toute façon tellement court qu'on ne pouvait rien en déduire.

Yoongi regardait sa montre, au milieu d'un parc plongé dans la nuit, éclairé par des lampadaires ras-du-sol. On ne votait que très peu les arbres, et pourtant le protagoniste du rêve tentait de déchiffrer l'heure affichée sur le cadran.
Il était décoré d'un dessin du Petit Prince, dans son éternel habit vert, un mouton à la fourrure blanche à sa gauche. Des étoiles au-delà de la planète minuscule sur laquelle les deux personnages se tenaient, une rose emprisonnée dans sa cage de verre en arrière-plan.

Le dessin contrastait avec le bracelet en cuir noir qui enserrait le poignet, les trous de la boucle usés et effrités. La vitre de la pendule, de même, avait quelques fêlures et était rayée à de nombreux endroits. Une voix tira l'homme de sa contemplation, et une fois encore il se sentit aspiré dans une abysse noire sans fond. Le paysage perdit de sa consistance, le monde reprit ses tons inversés, le ciel étoilé prenant place sous les pieds de Yoongi, l'herbe frôlant ses cheveux et les arbres ayant la cime écrasée contre la Voie lactée.

Ce qui avait semblé être la réalité une douzaine de secondes venait de retourner à son aspect presque de bande dessinée, tandis que la sensation de froid due à la température à l'intérieur du songe disparaissait en même temps que le reste.

Un monde lui aussi froid et pâle, prêt à imploser tant il contenait de bourgeons qui fanaient sans avoir éclaté.

Ce parc qu'il avait vu, il n'avait absolument aucune idée duquel il s'agissait, ni ce qu'il représentait. Peut-être que Jungkook saurait lui indiquer le lieu s'il le décrivait correctement. En attendant, il ne pouvait pas rester là, à se morfondre dans sa chambre, ses souvenirs deviendraient sans doute très rapidement de plus en plus envahissants et insupportables.

Il ne pourrait guérir qu'à l'extérieur, là où tout s'était toujours déroulé. Il fallait bien commencer sa quête quelque part, et l'hôpital, sachant qu'il ne s'y était probablement jamais rien passé d'important dans sa vue d'autrefois, n'était pas réellement un bon point de départ.

Yoongi se sentait comme le Petit Prince, qui, d'un cœur d'enfant, attendait sur sa planète que quelqu'un veuille bien lui dessiner un mouton, comme l'amnésique attendait que l'on lui trace un futur.

𝙵𝚕𝚘𝚘𝚍𝚎𝚍 𝚖𝚎𝚖𝚘𝚛𝚒𝚎𝚜 - ɬąɛɠıƙơơƙOù les histoires vivent. Découvrez maintenant