2. Quand le vent souffle du nord (2/3)

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Nulle forteresse ici. Le hall d'entrée n'était conçu que pour l'étourdissement des sens. Par-dessus ses draperies de marbre, la voûte d'or fin abritait des sculptures d'ambre et de perles ; une bouffée de senteurs capiteuses s'invitait par une arche voisine ; les pépiements mélodieux de toute une volière tourbillonnaient au-dessus des têtes ; au centre trônait un bassin rempli d'un liquide argenté. Chaque ridule renvoyait des morceaux de soleil.

Leif s'approcha, subjugué.

— Qu'est-ce donc que cette magie ?

— Du vif-argent. Dépêche-toi, le calife nous attend.

Leif en resta interdit, le temps de suivre la danse des reflets, puis se ressaisit d'un branle de la tête. Déjà, le pan de la robe satinée disparaissait par une porte d'ivoire, il se précipita avec un juron.

Poussé par l'avertissement de Khālid, il franchit le seuil, aperçut au dernier moment la silhouette en sens inverse, aux bras chargés de parchemins, tenta de freiner sa course, dérapa sur le marbre et percuta le jeune homme en robe noire de plein fouet. La brassée de documents s'envola comme autant d'oiseaux libérés ; le propriétaire atterrit sur son postérieur avec un air ahuri. Leif parvint à maintenir son équilibre et évita ainsi de lui enfoncer l'estomac en couronnement de cette introduction originale.

— Par Thór, Sayyed, je suis confus, profondément navré ! Veuillez pardonner mon inqualifiable conduite.

Il s'empressa pour tendre la main et remettre son malencontreux obstacle sur pied. Pourvu qu'il n'ait pas commis quelque crime de lèse-majesté envers un puissant cheikh ! Heureusement, la victime ne paraissait pas s'émouvoir et aucune brochette de gardes ne se précipitait en criant au meurtre. Le jeune homme se frotta l'arrière du crâne et ouvrit la bouche sur un sabir incompréhensible. Le choc lui avait-il perturbé l'esprit ? Leif esquissa une grimace d'excuse, le garçon se reprit.

— Oh, pardon, baragouina-t-il dans un sarrasin approximatif. Vous ne parlez pas latin ? À votre couleur de peau, je vous croyais Franc.

Leif remarqua alors la tonsure dans l'abondante chevelure, caractéristique des moines au service du dieu des chrétiens.

— Non, je viens de plus au nord.

— Oh, vous êtes loin de chez vous, vous aussi.

Il joignit les mains et s'inclina en guise de salut.

— Gerbert, d'Aurillac. Je suis venu avec une délégation du comté de Barcelone, pour négocier une trêve dans les affrontements.

— Leif. Je m'excuse encore une fois, je vais vous aider à ramasser vos rouleaux.

Pendant qu'il rassemblait à la hâte les documents éparpillés, le moine poursuivait sa péroraison, manifestement ravi de sa rencontre impromptue.

— J'en profite également pour m'instruire. Ces rouleaux sont des copies d'ouvrages d'astronomie, d'arithmétique et de géométrie que je rapporte au monastère. La science des Sarrasins regorge de trésors dans tous les domaines. Et vous, Monsieur, qu'est-ce qui vous amène au palais du calife ? Quelle urgence vous poussait comme si le déluge menaçait ?

— J'aide Āisha bint Muhammad ibn al-Qūtiyya dans la réalisation d'un ouvrage sur la flore et la faune du Nord. Elle est venue présenter l'avancée de ses travaux et je dois la rejoindre au plus vite. Si vous permettez ?

Leif repêcha le dernier rouleau au pied d'une sculpture et tendit l'ensemble à son propriétaire. Au lieu de s'en saisir, le bavard le contempla, les yeux brillants.

Bint Muhammad ibn al-Qūtiyya? Vous travaillez avec la fille du grand historien et philologiste ? On dit qu'il est un descendant du dernier roi d'Espagne, avant la conquête par les Sarrasins. Il a beaucoup œuvré pour la paix entre les mahométans et les chrétiens. Quel honneur ! Vous êtes un sage, Monsieur, d'être venu jusqu'en ce pays pour apprendre auprès de figures si prestigieuses, à la source de tout savoir. On raconte que la bibliothèque du calife surpasse celle de la légendaire Alexandrie...

[Sous contrat] La saga de Leif Deux-Vies [T1 : Sur les ailes du corbeau]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant