Prologue

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Sept ans plus tôt

– AARON –

Mon regard se perd dans le noir infini qui colore cette nuit d'automne. Je perçois les feuilles virevolter au gré du vent dans l'obscurité éclatante d'étoiles.

Mais ces touches de beauté ne suffisent pas à m'aider à me relever. Je reste couché sur le flanc. En observant le ciel noir abîme. Et les feuilles mortes de l'automne à la couleur tout aussi sombre.

Qui défilent le long des troncs. Partant de là où elles sont nées, jusqu'à là où elles seront oubliées à jamais.

Comme la vie. Comme la mort. Comme ce mélange aride qui embrase la pensée humaine.

Et surtout la mienne quand mon corps, alors que je suis sous forme de loup, est incapable de se redresser. Ni de hurler à l'aide.

Je sens l'odeur du sang. Qui teinte ces feuilles d'habitude illuminées d'or scintillant. Désormais illuminées de pourpre étincelant.

- Trouvez la famille royale ! Avant qu'il ne soit trop tard !

Non, ne venez pas. Laissez-moi planer dans cette mélancolie addictive. Contre le loup de mon père que je ne veux pas encore croire mort.

Laissez-moi embrasser du regard cette nature figée, mais où tout ce qui continue de bouger est le feuillage luisant des arbres encore pleins de vie.

Je veux croire que cette vie est encore là. Que je ne suis pas le seul survivant.

- Le Prince est réveillé.

Je me sens caressé, inspecté, puis soulevé et transporté.

Loin de ce paysage fabuleux d'un automne obscur.

***

Les feuilles givrées de l'automne continuent de valser. Lentement. Jusqu'à se poser sur le sol, inertes. Et surtout sur leurs tombes. Dont l'une est vide. Mais je crois qu'ils l'ont juste ajoutée à celle de mon père pour bien montrer que Maman n'est plus là.

C'est symbolique.

Comme cette couleur rougeoyante qui me donne envie de pleurer sous ce soleil radieux. Mais je ne peux pas, je ne dois pas. Mes yeux restent fixés sur l'arbuste qu'ils ont planté pour couvrir leurs tombes.

Un arbuste qui n'a pas encore son feuillage d'automne. Et je crois que c'est ce qui me brise le plus. Je crois que j'aurais aimé que ces feuilles qui tombent sur le bois d'ébène soient les siennes.

Pour bien me montrer que l'automne est responsable de toutes nos souffrances.

Après que la terre ait recouvert le bois renfermant le corps de Papa, les gens ont commencé à partir. D'un simple toucher, je sens un homme m'indiquer que la cérémonie est terminée, que je dois le quitter pour toujours, quitter le souvenir de mon père et de ma mère.

Mais je fais quelques pas. Jusqu'à me retrouver devant les deux croix de pierre blanche qui ornent l'emplacement de leurs cercueils enfouis.

- Papa, Maman, je vous promets que, pour me reconstruire, je vengerai nos souffrances du 10 octobre.

Nos souffrances d'automne.

***

– ÉMILIE –

Mes larmes dévalent en silence le long de mes joues. Mais j'essaye de les empêcher de couler. Malgré toute la douleur que je peux éprouver en ce moment-même. Malgré toute l'horreur que j'ai vécue et qui me hantera à jamais.

J'ai envie de pleurer en voyant les feuilles d'un bronze glacé me tomber tranquillement sur le visage. Dans un geste de paix, d'insouciance. Alors que le chaos règne en moi, comme un démon qui ne me quittera jamais.

J'ai envie de pleurer devant ce spectacle magnifique. Mais je ne peux pas, je ne dois pas.

Je n'entends pas les mots que me souffle mon père en me portant jusqu'à une voiture. Je n'entends que les cris qui ont déchiré, tel un éclair, la fluidité de ma vie. Les cris qui marqueront à jamais cette même vie, et peut-être même ma mort.

Je ne sens même pas le froid. La couverture posée sur mon corps inerte l'empêche de me parvenir mais je crois que, même sans, il n'aurait jamais picoté ma peau. Il ne m'aurait jamais fait de mal. Parce que je ne peux pas avoir plus mal que maintenant. Quand tout ce qui me compose est brisé.

- Sécurisez bien le lieu, et... allez chercher son corps...

Je ne comprends même pas ses paroles. Ma vue reste accaparée par cette nature morte mais incandescente qui me tombe dessus, caressant mes joues abîmées.

Cette nature aussi brûlée que le sont mon cœur et mon âme.

Alors que je suis petit à petit transportée.

Loin de ce paysage fabuleux d'un automne obscur.

***

Je chemine lentement au milieu des tombes grisées par le temps. Alors que, devant moi, il y en a une qui se démarque par sa blancheur éclatante de vie.

Comme elle l'était. Vivante. Avant qu'ils ne débarquent dans nos vies. Et sèment le désordre. Nous faisant égarer beaucoup de nos plumes.

Nous faisant nous brûler les ailes.

Le froid de l'automne me gifle violemment, enflammant ma peau.

Mais je ne sens pas cette douleur infime. Je ne sens que celle qui m'étouffe de l'intérieur.

En cours de route vers sa tombe, je me stoppe brusquement. Les yeux fermés. Avant de les rouvrir juste à temps pour voir une feuille d'automne se poser en plein centre de sa pierre tombale. Puis soufflée, dans un geste à en couper le souffle.

Qui illustre son âme s'envolant dans les cieux et se perdant dans l'automne glacial mais affreusement splendide.

Comme elle.

Mon corps se rend de lui-même jusqu'à elle. Jusqu'à là où ce qu'il reste d'elle repose. Dans un silence infini. Sans rupture. Dans un silence bien trop bruyant à mon goût.

Quand j'entends de nouveau ses hurlements lacérer les rires de la cellule.

Pour bien me montrer que l'automne est responsable de toutes nos souffrances.

Ses hurlements qui poussent ma voix à se faire entendre dans la sérénité dorée de cet automne monstrueux :

- Léna, je te promets que, pour me reconstruire, je ferai tout pour oublier nos souffrances du 20 novembre.

Nos souffrances d'automne. 

Nos Souffrances d'AutomneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant