Acte V - Scène VI

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CLÉANTE, VALÈRE, MARIANE, ÉLISE, FROSINE, HARPAGON, ANSELME, MAÎTRE JACQUES, LA FLÈCHE, LE COMMISSAIRE, son CLERC.

CLÉANTE.- Ne vous tourmentez point, mon père, et n’accusez personne. J’ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous dire, que si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu.

HARPAGON.- Où est-il ?

CLÉANTE.- Ne vous en mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi. C’est à vous de me dire à quoi vous vous déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de perdre votre cassette.

HARPAGON.- N’en a-t-on rien ôté ?

CLÉANTE.- Rien du tout. Voyez si c’est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux.

MARIANE.- Mais vous ne savez pas, que ce n’est pas assez que ce consentement ; et que le Ciel, avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père dont vous avez à m’obtenir.

ANSELME.- Le Ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous, pour être contraire à vos vœux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d’une jeune personne tombera sur le fils plutôt que sur le père. Allons, ne vous faites point dire ce qu’il n’est point nécessaire d’entendre, et consentez ainsi que moi à ce double hyménée [20] .

HARPAGON.- Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette.

CLÉANTE.- Vous la verrez saine et entière.

HARPAGON.- Je n’ai point d’argent à donner en mariage à mes enfants.

ANSELME.- Hé bien, j’en ai pour eux, que cela ne vous inquiète point.

HARPAGON.- Vous obligerez-vous [21] à faire tous les frais de ces deux mariages ?

ANSELME.- Oui, je m’y oblige. Êtes-vous satisfait ?

HARPAGON.- Oui, pourvu que pour les noces vous me fassiez faire un habit.

ANSELME.- D’accord. Allons jouir de l’allégresse que cet heureux jour nous présente.

LE COMMISSAIRE.- Holà, Messieurs, holà. Tout doucement, s’il vous plaît. Qui me payera mes écritures ?

HARPAGON.- Nous n’avons que faire de vos écritures.

LE COMMISSAIRE.- Oui. Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.

HARPAGON.- Pour votre paiement, voilà un homme que je vous donne à pendre.

MAÎTRE JACQUES.- Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai ; et on me veut pendre pour mentir.

ANSELME.- Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.

HARPAGON.- Vous payerez donc le commissaire ?

ANSELME.- Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.

HARPAGON.- Et moi, voir ma chère cassette.

L'Avare (De Molière)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant