Ce matin, cet idiot de Valra nous réveilla en sursaut.
– Debout les feignants, c'est le grand jour, l'annonce va être faite à 9h.
Je regardai mon réveil et constatai qu'il était moins de cinq heures. Je me redressai, attrapai une bouteille vide qui traînait et lui balançai à la figure.
– Tu as vu l'heure ?
– Décalage horaire, heure du Palais.
Ça faisait des mois qu'il nous bassinait avec les Jeux. Depuis que notre psychopathe de Seigneur Noir avait remporté les Galactiques, il en avait fait une tradition biennale dans notre secteur. Il fallait bien rentabiliser le Palais des Jeux, monumentale dépense, bâtie spécialement pour une manifestation qui ne reviendrait dans la région que dans quatre mille ans.
Édith bailla bruyamment, et retira sa bulle de silence pour l'agonir d'injures.
– Tout ça pour un truc qu'on peut revoir quand on veut.
– Non, mais s'il annonce l'ouverture des inscriptions, insista Valra, il va falloir être au taquet avant que des millions de personnes se ruent dessus.
– Pffff...
– Ça fait un an qu'on galère à valider toutes les présélections. Ne me dites pas qu'on a fait ça pour rien parce que vous êtes trop feignants pour vous lever.
– Tu fais chier, râla Édith d'une voix pâteuse. Je découpe un gamin à 11h, j'ai besoin d'un cerveau valide pour ça.
Édith était en cinquième année de médecine. Outre une conversation glauque souvent axée sur ce qu'elle pouvait trouver dans un corps humain, elle avait une forte propension à la biture. Elle stockait dans sa chambre une impressionnante collection de crus du Petit Berceau, le vieux quartier populaire de la capitale où elle était née. Où chaque maison, recouverte de vignes grimpantes, avait son atelier de vinification plus ou moins déclaré.
Valra activa la bulle commune, nous projetant instantanément dans les murs d'obsidienne de l'ignoble palais seigneurial, planté comme une lame sombre dans le tapis bariolé de l'architecture un peu folle de notre capitale.
Ponctuel, comme à son habitude, notre maître à tous fit son apparition. Une monstrueuse et familière silhouette de plus de deux mètres de haut, aux muscles enflés, entièrement gainés de noir, le visage éternellement caché sous un masque anthropomorphe à respirateur intégré, comme tous ceux de sa race. Il avait tenté de discipliner son épaisse chevelure dans un demi-chignon piqué d'épingles de diamants, mais celle-ci se rebellait sur ses épaules comme la crinière d'un felnari. Ses yeux rougeoyaient à travers les lentilles en amande du masque, alors qu'il prononçait un bref discours d'une voix caverneuse.
Les inscriptions s'ouvraient aux équipes de quatre, limitées à cent mille participants, avec priorité aux habitants de son secteur de six cent vingt-deux globes habités. Le Seigneur Noir offrait une prime de cinquante mille imperii au vainqueur. De quoi acheter un appartement de luxe au Quelenissor ainsi que s'offrir des repas de luxe jusqu'à la fin de ses jours.
Prime à laquelle le Démos, notre obèse et virulent dirigeant planétaire, élu à vie depuis la dernière constitution, ajoutait dix mille, si elle revenait à un Calrussien. J'imaginai déjà les gueulantes des autres mondes et la montée des enchères entre monarques avides de motiver leurs citoyens à faire briller leur planète natale.
– Cette année, j'ai pris en compte les leçons des années précédentes et j'ai décidé de donner une saveur plus corsée aux épreuves afin de relever le niveau désastreux des participants. Le mode réel s'activera de façon aléatoire. Autant dire que les Jeux seront potentiellement... mortels.
Le gros monstre semblait se délecter de chaque mot.
– Cette contrainte s'imposera à tous. La mort ne sera plus une simple déconnexion, mais un risque véritable. Ce qui exigera des stratégies réfléchies.
Chaque saison, il éliminait plus de dix mille candidats. Il gagnait systématiquement, ce qui était autant lassant pour lui que pour le public, même si, bon prince, il remettait sa prime au second. Les Jeux n'étaient plus une épreuve sportive, ils viraient au divertissement égoïste où ses sujets lui servaient légalement de proies.
– Ce type est taré, marmonna Édith. Ils vont tous se jeter sur lui pour l'éliminer.
Brutal et tyrannique, notre Seigneur Noir était franchement impopulaire. Depuis sa nomination à la tête du secteur IV, il avait réussi à transformer une région placide en poudrière. Loin de se contenter du rôle symbolique de représenter un lointain et immortel empereur, il passait son temps à provoquer des conflits, puis à les résoudre à bord de son super-destroyer. Lorsqu'il dépassait son profond désintérêt pour l'administration, ses rares décisions politiques et économiques tournaient au désastre, coûtant des milliards de morts. Il s'affichait comme une divinité barbare, reconnu par mes contemporains les plus superstitieux comme l'incarnation du gaurath, le légendaire spectre-felnari, sorte d'homme-loup monstrueux, semant la mort les nuits de Solune-la-Sanglante.
Il fit volte-face dans un grand mouvement de cape et se barra à grands pas, tandis que son secrétaire aux affaires culturelles tentait de rattraper piteusement le discours.
– Mais c'est génial, s'excita Valra. Cette règle va éliminer tous ces pilotes de canapés qui nous pourrissent le jeu. Il y aura que du haut niveau, des vrais ! Ça va être mortel.
– C'est ce qu'il vient de dire... mortel...
– Non, mais ce sera pas tout le temps, ce sera par période, c'est là qu'il faudra être rusé et pas faire du n'importe quoi comme la plupart des joueurs. Finies les acrobaties débiles, ça va être du sérieux. Gros monstre, je t'aime !
– Rectificatif, reprit Édith, Valra est taré.
Valra était étudiant en nanotech et se destinait au département des technologies de l'armement, grassement financé par notre tyran. Il était fétichiste des vaisseaux impériaux et s'était mis en tête de monter un moustique en taille 1/10, pièce par pièce, ce qui encombrait gravement le salon commun de notre coloc.
– De toutes façons, c'est mort, le doucha Edith. Il faut s'inscrire par équipe de quatre et on est trois. Donc à moins que tu nous trouves un quatrième potable, je reste dans mon pieu.
Une ombre passa sur le visage de Valra, douchant son enthousiasme, puis telle Solune jaillissant de la brume, il s'éclaira à nouveau.
– Défi accepté.
Édith replaça sa bulle de silence.
– Ça doit être le standard de recrutement des pilotes de l'Empire: sélectionner des tarés. Je vais tenter de me recoucher, ne me dérange pas avant dix heures.
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Game over pour un tyran
Science FictionA l'approche des Grands Jeux, Culbert Verso, étudiant en sciences politiques, se rêve en libérateur des mondes. En effet, cette année, leur tyran a décidé d'y participer en mode réel, ce qui signifie que tout ce que le secteur lui compte d'ennemis v...