Attention, passage en mode réel – phase létale de six minutes.
Brusquement, tous mes sens se mirent en alerte. La fermeté des manettes sous mes doigts, l'odeur âcre de l'air conditionné, les lumières éblouissantes, le ronronnement du moteur. Tout semblait aller plus vite, plus fort. Je suivis la consigne de Solaria et me planquai à l'ombre d'un satellite. Solaria volait avec la grâce de son avatar, une véritable chasseresse. Discrète, glissant parmi les ombres pour tomber brutalement sur sa proie et lui asséner une attaque dévastatrice. Elle évoluait subtilement dans le milieu du classement, trouvant le juste équilibre entre apparaître suffisamment forte pour repousser les charognards, ceux qui s'acharnaient sur les bas niveaux, ni trop bien classée pour attirer les flaireurs. La phase d'élimination de masse avait duré six jours, nous entrions enfin dans le vrai jeu.
Alerte, vous avez perdu un équipier.
Édith. Je courus dès que je pus à l'infirmerie. Elle avait perdu connaissance suite à un choc à l'arrière, qui avait endommagé la coque. Le vide glacial s'était faufilé dans la déchirure. Elle n'avait survécu que parce que son élimination était intervenue après la phase mortelle.
– Elle a eu de la chance, commenta le médic. C'est pas le cas de tous ceux à la morgue... Enfin, c'est le jeu.
Je donnai un coup de poing dans le mur en insultant le gros monstre, et je me fis mal.
– Quand on ne sait pas gérer sa colère, on se retire, me doucha froidement Solaria. Je n'ai pas besoin d'équipiers qui font n'importe pas sous l'effet d'émotions.
Elle avait une maîtrise absolue d'elle-même, rien ne semblait la détourner de son objectif. Je m'excusais, tout en me jurant de venger Édith.
Une nouvelle règle apparut au dixième jour. Celle de pouvoir customiser son vaisseau pour quiconque en avait le talent. Valra, qui trompait son ennui entre les paris et le bar, s'y colla pendant mes heures de repos. Mon sommeil était fragmenté, j'avais perdu les notions de jour et de nuit à cause du roulement des sorties. Je ne tenais que grâce à Solaria, qui me donnait le désir de me surpasser, de lui prouver que j'étais fait pour l'accompagner. Hélas, elle restait sourde à mes avances, aussi imperturbable que la statue de la grande Soléné sur la butte qui portait son nom. Je remâchais ma colère et ma frustration. Édith était sortie du coma, mais elle avait perdu provisoirement l'usage de son bras et de la parole. Elle allait rater son année.
Aussi, je fulminai lorsque je vis l'énorme point rouge sur le radar. Le Seigneur Noir avait le vol lourd et brutal. Débarquant au milieu d'une bataille avec la grâce d'une botte blindée sur un château de sable, il ne laissait que désolation. Mais je ne me laissais pas duper. Il cachait, sous un aspect mal dégrossi, une vraie science des combats, boostée par les réflexes surhumains de sa race de demi-dieux. Je fuis, m'estimant pas de taille face à un fou sanguinaire qui avait déjà dégommé quinze mille participants. Il était sans pitié, encore plus lors des phases létales où les flaireurs s'organisaient pour le coincer. Il semblait prendre un vrai plaisir à les attirer et à inverser les rôles, rappelant à tous, qu'il était le dieu de la guerre et que nous étions ses jouets.
***
Une tempête de terreur traversa le Palais et nous figea au sol. Des idiots avaient tenté de tuer le gros monstre dans son sommeil et ce dernier nous convoqua tous pour une ultime leçon.
– Il est temps de faire un rappel des règles. Quand j'ordonne une trêve, j'attends qu'elle soit respectée. Voilà ce qui arrive quand on me contrarie.
Il asséna un violent coup de poing, qui, dans un horrible craquement, fit éclater la cage thoracique d'un homme amoché et menotté sur l'estrade. Puis, ignorant les hurlements de sa victime, plongea la main dans la chair pour arracher lentement le cœur qu'il jeta aux pieds du premier rang. Je pivotai pour ne pas imprimer ce spectacle atroce dans mon esprit et cherchai du réconfort dans la contemplation du profil aquilin de Solaria. Les yeux noirs fixaient la scène avec une intense concentration.
– J'espère que vous avez compris. Bon jeu à tous.
Il virevolta et disparut. Etait-ce mon imagination? Un bref instant, Solaria mordit sensuellement ses lèvres entrouvertes.
***
Boucliers à 120 %. Les bricolages de Valra étaient efficaces. Je slalomai au milieu des déchets du cimetière de l'antique bataille de Valgor. Je préférais les espaces encombrés aux grandes zones de vide. L'épuisement me gagnait. Je jouais toutes les deux heures avec une pause d'une heure entre chaque. Alors que les paris s'emballaient, la fatigue se ressentait dans les techniques de plus en plus hasardeuses et agressives des joueurs. Nous avions tous hâte d'en finir et je ne devais ma survie qu'à ma lâcheté.
Danger. Cible en vue.
Le rouge envahit mes écrans. J'aperçus Solaria partir en vrille pour éviter les tirs furieux du chasseur écarlate. Vu son score, je le reconnus facilement. Sa démonstration de cruauté avait divisé les esprits, brisant toute envie de révolte ou, au contraire, suscitant une haine frénétique. Il avait survécu à des centaines d'attaques furieuses, passant tellement près de la mort que je crus notre délivrance arrivée. Lui aussi souffrait du manque de repos, ses attaques se faisaient de plus en plus désordonnées. Il tenta une charge que Solaria esquiva par un piqué, avant de se retourner pour la bombarder.
Phase létale – 2 minutes.
Je paniquai. La belle était coincée avec la bête, je ne voyais pas d'autre cible à la furie du seigneur sur la carte.
– Solaria ! Sors de là !
– Reste concentré et ne t'en mêle pas.
Telles deux mouches en rut, les vaisseaux ventrus commencèrent à bourdonner dans une danse effrénée. Le compteur s'égrenait et la rage du monstre bouillonnait devant la résistance de sa proie. Je remarquai cependant les similitudes entre les mouvements, Solaria avait dû longuement étudier son adversaire pour imiter certaines de ses bottes.
Phase létale – 1 minute.
Mauvaise stratégie, elle s'était placée dans la position de proie, la configuration où il était invincible. Il s'amusa avec des charges soniques qui firent ricocher les obstacles pour la déstabiliser.
Phase létale – 43 secondes
Elle fit une embardée en flèche, pour tenter de se positionner en chasseuse, mais il la contra. Une rafale puissante fit exploser ses boucliers. Mon cœur battait à tout rompre jusque dans mes gants. Je ne pouvais pas la laisser mourir. Elle était trop précieuse, de son succès dépendait l'avenir de centaines de milliards d'individus.
Phase létale – 32 secondes.
Je me découvris, mon score devait être tellement minable que mon point devait s'afficher au dernier moment sur son radar. Mon attaque le surprit, même si je fis peu de dégâts, mais elle suffit à Solaria pour reprendre son souffle. J'encaissais un choc violent sur la droite et poussais mes boucliers au maximum. Je savais que je survivrais pas, mais je devais prendre son agressivité, le plus longtemps possible. Solaria prit du recul et le tarauda à coup de missiles. En vain. Ce type était increvable et je le soupçonnais d'avoir lui aussi bricolé son vaisseau. Je lançai une attaque sonique qui le bombarda de déchets. Il me fonça dessus.
Phase létale – 10 secondes.
Mes mains vibrent sur la manette. Tenir. Esquiver. Choc à la tête. Flou. Brèche dans la coque. Froid. État critique. Bips stridents. Rouge.
Vous êtes mort.
Je tremblais comme une feuille, mais mon sacrifice sauva Solaria .
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Game over pour un tyran
Science FictionA l'approche des Grands Jeux, Culbert Verso, étudiant en sciences politiques, se rêve en libérateur des mondes. En effet, cette année, leur tyran a décidé d'y participer en mode réel, ce qui signifie que tout ce que le secteur lui compte d'ennemis v...