Chapitre 2 : premier entraînement

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Je n'arrivais pas vraiment à me rendormir, tellement j'étais excité à l'idée de voir notre maître mordre la poussière. C'était mon secret, je ne m'appelais pas Culbert Verso, je n'étais pas un simple étudiant en sciences politiques qui rêvait d'une place dorée au cœur de notre vieille démocratie. J'étais un activiste.

Dix ans plus tôt, une bombe mal placée sur la berge du Kérisal avait blessé un des fils du Seigneur Noir. Son père n'avait pas fait dans le détail et avait fait ratisser la capitale. Mes parents avaient une fausse ID, pas assez chère pour ne pas être raflés. Je les ai jamais revus. J'aurais dû finir esclave dans les bas-quartiers, mais mon chemin croisa celui de l'Aube, un groupe révolutionnaire. Cette histoire de Jeux était une opportunité de se débarrasser du tyran, et je devais la saisir.

***

Édith déboucha une bouteille de viduras, un cépage à petits grains dorés qui donnait un vin jaune liquoreux, un brin amer. Et bu un premier verre.

– Alors, Valra ? Ça avance ta quête du champion ?

– J'ai posté des annonces sur toutes les bulles. Mais tous les présélectionnés sont déjà en équipe, c'est une vraie galère. Et ce serait bien que vous bougiez vos culs pour faire quelques raids, histoire qu'on s'améliore au classement général.

– J'ai des examens à passer, dit Édith.

– Pareil, la suivis-je.

– Non mais vous déconnez, il y en a pour soixante mille impérii ! De quoi financer vos études pour toute votre vie ! C'est bon, vous pouvez un peu lâcher vos labos !

– On a fait un pari, tu devais te débrouiller seul. Tu admets avoir perdu ?

– Pfff... on est une équipe, Édith, on doit fonctionner comme une équipe.

– Pas de soucis, équipier. Crache ton gage.

– Je vous hais, mes adelphes.

Une virée hors des murs du campus, à travers le Tub qui traversait l'océan pour mener vers la capitale. Un bar à vin du Laurelindell, l'un des quartiers les plus chics de la vieille ville. Valra nous insulta toute la soirée et paya la douloureuse en nous traitant de parasites.

***

Activation. Matérialisation du cockpit.

– Fenris deux, prêt au décollage. À vous.

Je retrouvai les sensations familières de l'ordinateur de bord. À travers la vitre blindée du chasseur, je pouvais apercevoir la rampe de décollage du destroyer impérial.

– Fenris un, prêt, fit la voix d'Édith.

– Fenris trois, ordre de mission alpha-bora-thor. Décollage.

Je troquai le vin pour l'ivresse du vol spatial. Il y avait trois façons de manier cette petite merveille technologique : en dosant sa puissance dans les canons, les boucliers ou la vitesse. Les moustiques attaquaient en bande, harcelant des proies de la taille d'un croiseur, tandis que les flèches effilés battaient des records de vitesse et éliminaient les chasseurs ennemis.

– L'objectif est un croiseur pirate dans les anneaux de Valgar, attention aux collisions et aux drones.

– Bien reçu, confirma Édith. Puissance sur les boucliers.

– Non, dis-je, on va plutôt opter pour la vitesse, ça nous entraînera à esquiver. Va falloir qu'on travaille nos réflexes. Surtout si on doit se fader le gros monstre.

– Il traînerait parfois sur des espaces publics pour se défouler d'après la rumeur, mais il doit avoir sa bulle privée.

– Il n'a vraiment rien d'autre à foutre ? Genre gouverner un secteur de six-cent vingt-deux planètes ?

– Ou faire un énième gosse à sa femme. La pauvre...

C'était à la fois un objet de risée et de pitié. Il avait ravi une princesse de Corail, une sirène aux cheveux d'or, pour en faire sa reine. La pauvre femme était perpétuellement grosse depuis vingt ans, elle n'avait même pas le temps de dégonfler qu'elle était à nouveau enceinte.

– Hyperespace dans dix secondes. Calculez un Saut court.

– C'est parti, brailla Valra. Gloire à l'Empereur.

– N'en fais pas trop, mec...

– Hé ho, et le role-play ?

Une grande lumière et nous parcourûmes en quelques secondes la moitié du système. En théorie, il était dangereux de sauter en plein système, il fallait une certaine homogénéité de l'espace pour éviter de perdre quelques molécules lors de la décorporation. C'était pour cela que les Portes avaient été bâties en confins des systèmes, dans des temps immémoriaux où le voyage spatial était un fantasme. Mais nous étions des élites, nous maîtrisions les manœuvres dangereuses liées au Saut. Valgar apparut sur les radars, une géante gazeuse type saturnienne avec une impressionnante ceinture de débris. À trois, nous étions un peu limités pour une approche en étau d'Alternak, mais ça nous paraissait la meilleure stratégie.

– Attention, tir de couverture !

Les drones défensifs passaient déjà à l'attaque, nous avions loupé notre manœuvre de discrétion, ça commençait mal.

– Z'êtes rouillés, les gars, railla Valra, va falloir programmer un entraînement intensif.

Cette andouille avait parfaitement réalisé son approche et semblait se rapprocher de la cible.

– Je vous laisse faire mumuse avec les petits, bandes de nuls, je m'attaque au gros.

Il n'avait pas tout à fait tort, je me sentais grippé, mes réflexes câblés répondaient mal et j'éprouvais des difficultés à slalomer entre les tirs et les obstacles. Le chronomètre s'égrainait inlassablement, le maximum de points devant être fait dans un délai restreint.

Cible verrouillée

Je basculai sur le flanc, donnant un choc de l'aile sur un débris, qui, propulsé dans le vide, allait générer une réaction en chaîne auprès de ses voisins.

Cible détruite.

Le drone n'avait pas pu esquiver. J'aimais ces petites astuces qui consistaient à utiliser son environnement plutôt que ses canons. Le cockpit vibra sous le retour de l'onde de choc, je venais d'encaisser un objet. Évidemment, l'ennemi allait riposter et s'adapter.

– Je prends cher, avertit Édith, je vais faire un leurre, histoire de les attirer sur moi. Profite du passage !

Je plongeai en vrille. C'était un exercice esthétique qui secouait les intérieurs, d'autant plus que dans le vide de l'espace, il était facile de perdre ses repères. Pas de haut, de bas, ni sol ou ni horizon pour guider lorsque la vue se floutait. Mais mon cerveau rouillé ne me trahit pas et m'accorda quelques échappatoires. Je filai en direction du croiseur. Valra s'amusait comme un fou, harcelant la bête de ses piqûres. Il avait supprimé ses boucliers et opté pour une répartition de la puissance entre les moteurs et les canons. Il frôlait dangereusement la coque pour se concentrer sur les points faibles, puis se retirait hors de portée de sa défense. Un jeu dangereux, qui faisait son effet. Je préférais équilibrer et m'attaquer aux tourelles, quitte à encaisser quelques tirs.

– On le tient, s'écria Valra, on se concentre sur ses moteurs.

Très rapidement, le pirate ralentit. Nous étions piles dans le chrono. Valra exultait, quand le timing se figea. Une grande lueur blanche et un puissant choc vibratoire, puis le noir et les mots que nous redoutions : « Vous êtes mort ».

Je me débranchai et la bulle s'effaça autour de mon corps qui sortait de sa stase. Valra éructa pendant toute la soirée.

– Une putain d'autodestruction, dire que j'ai rien vu venir. Je déteste les mauvais joueurs ! C'est pas avec un score minable qu'on va recruter. Il va falloir s'entraîner tous les jours, vous vous démerdez avec vos examens, quitte à ne pas dormir, mais il nous faut un quatrième.

– Moi, j'ai survécu, l'acheva cruellement Édith.


Game over pour un tyranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant