𝒈𝒓𝒐𝒖𝒑𝒆𝒓 - 𝒑𝒐𝒊𝒔𝒐𝒏 𝒕𝒓𝒆𝒆 (𝒔𝒍𝒐𝒘𝒆𝒅)
Après avoir repassé tous ces évènements dans ma tête pour la centième fois, je ressens un sentiment de vide infini et je me demande ce que je fais encore là, sans but en haut de cette tour.
Je me sens faible car je me rationne chaque jour un peu plus. La nourriture va bientôt venir à manquer mais l'eau est un plus gros problème encore. J'ai presque envie de déplacer les deux énormes armoires calées contre ma porte et m'aventurer dans les couloirs sombres de l'immeuble. Non. Il pourrait rester des gens et sûrement au bout de leurs provisions eux aussi, ils risqueraient d'être agressifs. J'ai une peur monstre de ce qui pourrait se trouver de l'autre côté. Je préfère choisir la seconde option.
Ça fait longtemps que je souhaite en finir, mais je n'ai jamais le courage de passer à l'acte. A quoi bon continuer à attendre ma fin, enfermée dans le noir et dans mes questions sans réponses ? J'ai pris ma décision, demain ce cauchemar s'arrêtera.
Quel bonheur ce doit être de mourir.Observant ma seule source de lumière, j'imagine des mondes merveilleux et des paysages verdoyants. Le monde est mort, la Terre n'a plus d'avenir. A mon tour de rejoindre les ténèbres.
En dormant, je sens comme un regard posé sur moi. Quelqu'un m'observe. Mes paupières se soulèvent et je reste pétrifiée dans le noir.
Soudain, de grands yeux vides s'ouvrent en face de moi. Quelqu'un est penché au dessus de mon lit et me regarde fixement. Mon corps ne répond plus, j'ai envie de crier mais je suis incapable d'ouvrir la bouche. J'ai tellement peur que je ne sens pas mon cœur battre dans ma poitrine. Non, non, non. Pas maintenant. Je ne veux pas mourir.
Des larmes coulent de mes yeux et soudain, tout disparaît.Au réveil, mon visage est gonflé et mes yeux bouffis. Je reste longtemps dans mon lit, attendant que le temps passe. Aujourd'hui est le jour de ma mort. Je suis terrifiée à cette idée mais également excitée car j'ai enfin un but à accomplir. J'ai déjà vécu plusieurs fois ce jour. Enfin, à chaque fois je pensais que ça l'était. Mais aujourd'hui c'est sûr, je vais mourir.
J'ouvre le grand rideau qui masque la Nuit et m'assied devant le paysage indiscernable. Le ciel est d'un noir profond aujourd'hui, les étoiles sont comme dissimulées derrière un voile, je ne vois rien. Je reste longtemps emmitouflée dans ma couette, à fixer le plus loin possible dans l'étendue noire. Je vis mes dernières heures comme si je n'étais déjà plus là.
Soudain, je me décide enfin. Je me lève tant bien que mal, mes articulations craquent au moindre mouvement. Je sors deux boîtes de conserves d'haricots et de hareng et engloutis mon dernier repas. Manger sans restrictions me fait du bien. Quand je serai morte, je ne ressentirai plus la faim.
Après avoir terminé le fond d'un bidon d'eau je prends mon courage à deux mains, attrape ma pierre et la jette de toutes mes forces contre la vitre. Un bruit assourdissant retentit dans tout l'appartement et le verre éclate en mille morceaux.
Le vent s'engouffre dans la pièce, un froid glacial m'enveloppe. Je viens de trahir ma présence. J'imagine les gens s'activer dans les couloirs et chercher la source de ce fracas.Tremblante de froid je sens mon cœur s'emballer, et m'approche du trou béant dans le mur. Mes doigts se coupent sur les bouts de verre lorsque j'attrape l'encadrement de la vitre. Je balance mon poids en avant, seuls mes bras me retiennent. Le vent manque de me faire lâcher prise, la nuit est étrangement calme, tout semble figé. Aucun bruit ne provient des rues. Je regarde à droite et aperçoit les autres immeubles alignés à côté du mien.
Ils semblent dépourvus de vie avec leurs fenêtres noires. Je me rapproche du vide, mes pieds se mettent à saigner sur les bouts de verre. Deux ou trois mètres en dessous, la nacelle d'approvisionnent me paraît solidement accrochée avec des cordes.
Soudain, je lève la tête et mon corps se détend. Les étoiles sont réapparues et forment une constellation, je ne les ai jamais vues aussi clairement. J'ai l'impression d'être sur une autre planète, comme si je voyais une partie de la Voie Lactée jamais explorée. Elles semblent si proches du haut de ce gratte-ciel... Cette vision m'apaise, je reste quelques minutes la tête jetée en arrière.
Quand je la baisse je perds mes repères et manque de tomber. Ce n'est que maintenant que je prends conscience de l'altitude à laquelle je suis. Le sol me paraît si éloigné... La chute sera longue. Pour faire le grand saut, je dois d'abord monter dans la nacelle. A cet endroit je verrais le bas de mon immeuble et je pourrais même prendre de l'élan.
J'observe la façon dont les cordes sont accrochées, elles semblent bien fixées en haut de la tour.Je regarde une dernière fois le ciel et sans un regard en arrière, bondis sur la nacelle. Le métal froid comme de la glace se colle à ma peau et en un quart de seconde, je le sens se dérober sous mon poids. Un vent glacial me déchire la peau et je percute le fond de la nacelle de plein fouet. Son grondement assourdissant vrombit dans la Nuit, la chute semble interminable. Collée contre la plaque de métal, sans crier une seule fois, je sens le sol en béton se rapprocher à toute vitesse. Le choc me propulse dans les airs pendant qu'un énorme fracas retentit.
La nacelle se disloque et soudain, le silence retombe, tout s'arrête. Le soulagement m'envahit mais mon cœur bat comme s'il allait sortir de ma poitrine. Le sang bouillonne dans mes oreilles et je sens une forte douleur parcourir mon dos et mes côtes. Mon bras gauche reste plié sous mon ventre dans un angle inhabituel.Quelques minutes passent, puis je réalise. Jambes tremblantes, j'essaie tant bien que mal de me lever. Mon corps crie de douleur mais je n'y prête pas attention. Enfin debout, je me retrouve face à la porte de mon immeuble. Je fais volte face et avec un regard de terreur, j'observe la rue passante.