Chapitre 3

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La nuit polaire recouvrait du linceul laiteux d'une aube illusoire une forêt faite d'hombre sinistres, du souvenir des arbres. Simo n'avait laissé le camp que depuis une heure, et ses compagnons depuis à peine quelques minutes.... Mais il était déjà seul. Le grand nord perturbe les sens. Ce soleil qui ne se lèvera jamais, le silence feutré de la neige, cet air glacial qui brule les poumons comme du feu liquide,  le froid qui engourdi tout, ce goût de fer sur la langue...

Le jeune caporal prit une grande inspiration, savourant le calme, la paix... Il était prêt. 

En rampant dans la neige, invisible dans son manteau blanc, il chercha longtemps la position parfaite, sous les arbres étouffés de neige, l'endroit depuis lequel il verrait tout sans être vu... Depuis l'ombre de ce sapin il observait une piste incertaine à la neige changée en une bouillasse grisâtre par les camions soviétiques . Son visage rieur n'était plus qu'un masque d'acier, ses yeux bleus ne laissant plus voire qu'une détermination aussi insondable, glaciale et inébranlable qu'un lac gelé. 

Avec des gestes aussi froid que méticuleux, maintes fois répétés, il creusa dans la neige une fosse de 40 centimètres de profondeur. Il déboucha sa gourde et en renversa le contenu devant lui. Moins 32 degrés sous abri, l'eau ne tarderait pas à figer. Avec mille précautions il dégagea son fusil des chiffons qui l'enveloppaient. Il le fit tourner entre ses moufles, scrutant chaque soudure, chaque visse... Il l'effleura même de ses lèvres pour vérifier qu'il n'était pas humide. 

Tout était prêt. Il chargea son arme, prit une grosse bouchée de neige, mit sa cagoule blanche, s'assit dans la fosse, les jambes repliées, le dos appuyé au tronc rugueux du sapin boréal, le torce contre la neige, le doigt sur la détente, et ne bougea plus.

Ça poitrine se soulevait à peine, au rythme de son souffle lent privé de toute chaleur par la neige dans sa bouche. Pas de buée, pas de vie... Un sniper ?... Où ça ? 

Il clignait des yeux avec une extrême lenteur, ses cils couverts de givre...

Deux lapins blancs vinrent, à la recherche de nourriture, s'approchant inconsciemment de ce terrible prédateur si figé qu'ils le prenaient pour l'une de ces formes étranges que le vent du nord sculpte parfois dans la neige... Simo n'eut pas un regard pour ces créatures, tout entier à son attente. 

Puis il se mit à neiger. Pas un tressaillement, pas un frisson, juste, de temps en temps, une légère secousse pour faire tomber la poudreuse accumulée sur le canon de son M28 "Pystykorva". Il l'avait reçu en dotation et l'avait acheté à la fin de son service militaire, neuf ans auparavant. Cette arme dépassée, il la connaissait par cœur, il ne s'en séparerait jamais. 

Les flocons tombèrent de moins en moins dru, puis disparurent définitivement du ciel. Simo ne bougeait pas. Il était comme en transe, concentré uniquement sur sa mission : tuer l'ennemi sans se faire tuer...

Des coups de feu retentirent au loin, à peine perceptibles. Les hommes du jeune caporal s'étaient embusqués tout le long de la piste que devaient emprunter les soviétiques avec l'ordre de les abattre dès qu'ils seraient à portée de tire, en les poussant si possible vers l'avant, vers le piège... De nouvelles détonations, plus près. Entre les répliques des fusils russes, Simo reconnaît le son des tirs du Mossin-Nagant trafiqué de Yrjö. Il ne bouge pas.

Il n'a pas le droit à l'erreur. Les soldats du soviet suprême qui arriverait jusqu'à lui serait aux abois. La neige immaculée les aurait déjà trahie, des balles aurait déjà surgit de la forêt apparemment déserte pour transpercer leurs camarades et rependre leur sang. Ils scruteraient le moindre mouvement, le moindre frisson... Et à la première alerte, videraient leur chargeur.

D'autres coups de feu. Antti et Elias tiraient en même temps... Quelque chose avait dû mal se passer...

La tension monte, Simo ne bouge pas.

Une explosion déchire l'air, à quelques kilomètres à peine. Le M39 de Karli cracha trois balles puis se tu sous une riposte trop nourrie... Ils paniquent. 

Mais Simo ne bouge pas.

Ça y est, ils sont là.  Trois camions roulant aussi vite que l'épaisse couche de neige et le terrain incertain qu'elle cachait leur permettait, plus une escorte à pied amputée d'une bonne dizaine de soldats et dont les membres fixaient la colline, les mains crispées sur leurs armes. Un lieutenant se cache derrière un véhicule, il a compris que les tirs ne venaient que du talu à droite de la route. Il a l'air très jeune... Comme tous les officiers ennemis qu'il avait tué...

Pannn !

Une balle dans la poitrine.

- Блеяа Смерт !!! hurle un soldat soviétique, la terreur perçant dans sa voix. На землю ! 

Simo ne bouge que pour actionner le levier de son fusil...

Death's white coatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant