Tour de Guet

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Travailler dans une tour de guet, ça affûte vos sens. Vous êtes constamment en alerte, la moindre odeur de fumée, le moindre nuage suspect. Ça fait 17 ans que je suis dans le métier maintenant. Ça paye pas vraiment bien mais c'est en extérieur et ça occupe mes journées.

En 17 ans j'ai empêché des dizaines d'incendies. En 17 ans j'ai aussi pu observer les animaux. Longuement. Toutes sortes d'animaux. Les pires cependant, restent les hommes. Ils viennent parfois dans la forêt. Ils fument, ils jettent leurs déchets sur le sol, ils se débarrassent de ce qu'ils ne veulent plus, ils baisent. Mais en 17 ans de métier, je n'avais jamais vu ce à quoi j'ai assisté en ce jour.

Je suis montée tôt ce matin. Tous ces escaliers, c'est bon pour la forme. Une fois arrivée en haut j'ai bu mon café comme à mon habitude. La journée est particulièrement froide en ce début de printemps. Le soleil fait son habituelle rotation tranquillement et je suis plutôt détendue, un départ de feu dans ces conditions reste très peu probable.

Tandis que je regarde d'un œil distrait la forêt qui s'étale devant moi, un de mes sens se réveille. Mon oreille droite a capté quelque chose. Un cri. Très lointain. Je me lève et scrute les alentours. Le cri vient de ma droite, à plusieurs mètres de moi. C'est le début du printemps et quelques boules de feuilles ont commencé à se former sur les arbres. J'essaye de voir au travers. Ce cri, aussi ténu soit-il, m'a terrifié. Il était horrible et je n'en avais jamais entendu de tel avant. Soudain, je vois deux formes sombres et mouvantes. Elles sont minuscules mais elles sont bien là. Je fais confiance à mes yeux. Ils ne m'ont jamais trahis. Je ne suis toutefois pas un super héros et je prends mes jumelles pour mieux voir les formes sombres.

Ce sont deux personnes. Elles ont l'air assez jeunes. L'une de ces personnes est un homme, dos à moi, et l'autre une femme en face de lui, du moins de ce que je peux en juger. Ils se battent. Enfin je crois. C'est dur à dire. Souvent j'ai cru que les humains se battaient et ils finissaient l'un dans l'autre. Non. Vu le cri de tout à l'heure. Ils sont sûrement en train de se battre. Un éclair de lumière vient soudain frapper mes jumelles. Je regarde plus attentivement. Le garçon a un couteau. La fille tient dans sa main le bras du jeune homme. Le bras qui a le couteau. De toute évidence, elle tente de se défendre. La fille est contre un arbre et elle ne peut pas vraiment bouger. Le garçon lui assène de violents coups de pieds en espérant peut-être qu'elle lâchera son bras, ce qu'elle finit par faire.

Aussi tôt que le couteau est libéré de son emprise, il s'enfonce profondément dans le ventre de la jeune fille, éclaboussant au passage le jeune homme et les arbres alentour. Le couteau s'enfonce plusieurs fois dans son ventre alors même qu'elle doit être morte depuis longtemps. Puis le jeune homme s'arrête. La jeune fille est allongée sur le sol, il est debout à côté d'elle. Il s'agenouille puis, délicatement, comme équipé d'un scalpel, il lui ouvre le ventre. Il place ensuite, tout aussi délicatement, le couteau entre ses entrailles. Il sort de sa veste un rouleau de ces gros scotch marron et referme le ventre de la jeune fille. Content de lui, il s'en va ensuite tranquillement.

Je m'éloigne de la rambarde, je me rassois et je prends quelques gorgées de mon café. Je me reconcentre sur ma tâche. Ce n'est pas parce qu'il fait froid qu'un incendie ne peut pas éclater. Je souris.

Je note sur mon carnet de bord : " Aujourd'hui, un pollueur de moins"

Recueil d'histoires courtesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant