La Toile

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Ses parents, sa famille, les autres. Ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas pourquoi il est toujours seul. Et lui-même ne comprend pas. Il ne comprend pas pourquoi c'est mal. Il n'aime pas les autres. Il ne les a jamais aimés. Et ils ne l'ont jamais aimé non plus.

Mais ses parents ont un espoir. Ses parents changent de travail et il doit déménager avec eux. Ils changent de ville et ses parents espèrent qu'il s'y plaira mieux. Qu'il ira jouer un peu. Et pourquoi pas, qu'il se fera des amis. Ses parents espèrent en effet beaucoup de ce changement. Il le sait. Et il déteste ça. Il ne veut pas changer. Il n'aime pas les autres.

Mais ses parents ne veulent pas comprendre ça. Alors tous les soirs, quand il rentre de l'école, ils lui demandent. T'es tu fait des amis ? As-tu au moins parlé à quelqu'un ? T'es tu seulement approché de quelqu'un ? Et au fur et à mesure qu'ils posent ces questions, il fait non de la tête. Et au fur et à mesure qu'il secoue la tête, ses parents le regardent, de plus en plus inquiet. Ils le trouvent bizarre. Il le sait. Ils le regardent comme s'il avait quelque chose sur le visage. Comme s'il était déformé. Comme s'il était un monstre.

Mais il n'est pas un monstre. Il lit beaucoup et il a lu des livres sur des animaux qui vivent seuls toute leur vie. Cependant, c'est vrai, les monstres sont réputés pour être solitaires. Ou plutôt, ils sont seuls. Car qui veut d'un monstre ? Il se questionne alors. Est-il, lui aussi, un monstre ? un être dont personne ne veut ? Il préfère se voir comme un chat forestier. Il a beaucoup lu sur eux. Ils vivent seuls ou avec leurs enfants. Il est un chat forestier forcé de vivre avec ses parents.

Mais depuis quelque temps, ses parents ne posent plus de questions même s'ils ont toujours un regard inquiet. C'est les vacances d'été maintenant et il ne va plus à l'école. Il a plus de temps. Il fouille sa nouvelle maison et atterrit dans le grenier. Ses parents n'y vont jamais. Il est encore plein des choses des gens d'avant. Dans un coin, il voit un objet étrange. Il est baigné de lumière et semble l'appeler. Il s'approche de la chose. C'est une toile. Une toile blanche posée sur un chevalet en bois. La toile est énorme et vide. Il ne sait pas pourquoi, mais tout ce vide le dérange. Il voit à côté de la toile quelques tubes de peinture. Sans vraiment réfléchir, il commence à peindre. Du rouge d'abord. Puis du bleu. Du gris. Et enfin, du noir.

Mais ce qu'il peint n'a pas de sens. Pas de sens pour quelqu'un d'autre que lui. Et quelqu'un d'autre que moi. Il contemple sa toile. Longtemps. Ses parents l'appellent et il descend. Moi aussi je contemple cette toile. Longtemps. Plus longtemps que lui car lui doit manger, peut-être lire puis aller se coucher. Toutes ces choses que je ne fais plus depuis longtemps. Quand il revient au grenier le jour suivant, sa toile est différente. Quelqu'un y a rajouté des couleurs. Ces couleurs sont timides. Ténus. Écrasées par les autres.

Mais elles sont bien là. Du vert d'abord. Puis du jaune. Ce ne sont pas ses parents qui ont fait ça. Ils ne montent jamais ici. Il s'interroge. Pour une fois, c'est lui qui veut poser des questions. Alors il reste assis là à fixer les deux petites tâches qu'il n'a pas faites. Plus il les regarde, plus il est perplexe. Plus il les regarde plus il a l'impression que la tâche verte est un corps et la tâche jaune est une tête. Il en est même sûr à présent. Quelqu'un était là. Quelqu'un s'est peint sur sa toile. Et il veut savoir qui est ce quelqu'un. Il prend le pinceau et le plonge dans la peinture noire. Alors, avec de grands gestes, il dessine un point d'interrogation. Et il attend. Il attend que quelque chose se passe. Que la peinture change d'elle-même peut-être.

Mais rien ne bouge. Il reste là tout l'après-midi. Le soir, comme la veille, ses parents l'appellent. Il part donc manger, lire, dormir. Pendant ce temps, je contemple ce point d'interrogation. Ce grand signe qui me défit. Je prend le pinceau et le plonge dans la peinture jaune. Alors, avec de grands gestes, je dessine une rose. Immense. Elle recouvre le point d'interrogation. Il en reste tout de même des traces.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2022 ⏰

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Recueil d'histoires courtesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant