Prologue : Une nouvelle vie

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Minuit, dimanche 5 septembre, Paris, la capitale. Cette ville où tous les sens sont en éveil pour ceux qui viennent d'un petit village et n'ont pas l'habitude d'être submergés d'autant de lumières, sons et odeurs. J'y suis déjà venue deux fois étant plus jeune. Une première avant le divorce de mes parents, pour fêter mes cinq ans, et une seconde quand j'étais au lycée, accompagnée de mon premier petit ami, Nathan, et de ma meilleure amie, Cynthia.

Cette fois je suis seule, livrée à moi-même pour reprendre mon destin en main. Des années se sont écoulées sans que je m'aperçoive du temps qui passait et des choix qui m'éloignaient progressivement de mon rêve le plus cher : celui de devenir chanteuse. Je ris en pensant au cliché ambulant que j'incarne, là, tout de suite. Celui de la fille un peu naïve et gauche, s'émerveillant devant la Tour Eiffel scintillante, des rêves de gloire plein la tête et de l'espoir plein le ventre. Digne d'un scénario de teen movie, ceux qu'on a l'habitude de regarder avec Cynthia les vendredis soirs en se gavant de pop-corn. Seulement moi, je ne suis pas l'héroïne chanceuse à qui tout sourit parce que la chance le veut bien, non. Moi je sais que le talent ne suffit pas, je sais que mes chances sont infimes, je sais que je mise tout sur un rêve d'enfant très incertain, je sais que cette décision pourrait changer ma vie à tout jamais ou l'anéantir. Malgré cela, j'ai fait le choix de venir et je me tiens accoudée sur ce pont. C'est à ce point que je veux la décrocher ma lune. Après tout, je m'appelle bien comme elle, Luna.

En regardant les lumières danser sur l'eau de la Seine et se flouter sous ma rétine, je me dis ô combien j'aimerais que tout fonctionne cette fois... Plus de dix ans à chanter et jamais une opportunité concrète ne s'est présentée à moi. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé. À quatorze ans, j'ai commencé par poster des covers sur YouTube, pour ensuite faire quelques scènes locales, participer à divers castings et écrire des chansons disponibles sur les plateformes de streaming musical. Après avoir essuyé des centaines de refus de la part de directeurs de casting, labels et maisons de disque, il y a un an, je me suis fait la promesse de tout arrêter. Du moins tout ce qui touchait à la musique. Je venais d'avoir vingt-quatre ans et malgré un parcours scolaire chaotique, il me restait une seule année d'études pour obtenir ma licence en psychologie. Je ne pouvais plus me permettre de perdre du temps avec mes « fantaisies », comme mon père adorait les appeler.

Mais voilà, le destin en a décidé tout autrement. En juin dernier, en dépit de ma licence en poche, je n'ai pas obtenu de place en master pour poursuivre mon cursus. J'étais tellement déprimée à l'idée de rater une fois de plus le train de ma vie que mon cerveau a eu besoin d'extérioriser ces émotions de la manière la plus saine pour lui. Les idées ont alors commencé à fuser dans tous les sens et j'ai rompu la promesse que je m'étais faite un an auparavant. J'ai passé l'été enfermée chez moi à écrire et à chanter. Voilà comment est né mon projet d'album. Chassez le naturel, il revient au galop, n'est-ce pas ce que l'on dit ? Maintenant j'en suis certaine, cette passion coule dans mes veines, elle est mon poison comme l'essence qui me permet d'avancer. Je l'aime autant que je la déteste pour tous ces moments euphorisants et ces colères électriques teintées de frustration.

J'ai fini par expliquer à ma mère que je ne pourrai plus aller à l'encontre de mes désirs. J'avais essayé et voilà où ça m'avait menée : au point de départ. Elle a naturellement essayé de me raisonner durant tout le mois d'août en me montrant des annonces de services civiques et de CDD d'un an, insistant sur le fait que ça m'aiderait à « remplir mon dossier » pour retenter ma chance l'année prochaine... En vain. Je suis très têtue et elle le sait. Je refuse de perdre une année supplémentaire dans un quotidien banal et routinier qui me mènera à une vie qui ne m'épanouira jamais. Certes, les cours de psychologie étaient intéressants à la fac, mais pas autant que mon micro. Je n'ai jamais réellement souhaité devenir psychologue. J'aimais simplement la situation confortable que m'octroyait le fait de rentrer dans le moule pour une fois dans ma vie. Depuis petite, j'ai la sensation d'être faite pour briller, à l'instar de cette tour devant moi ou du personnage principal d'un de ces films. Je réalise à quel point c'est prétentieux mais je n'ai plus le temps pour la modestie. C'est pour ça que je suis ici. Pour stimuler ma motivation, je me répète ce discours interne en boucle depuis mon départ de la gare.

Demain matin, je me rendrai dans les locaux d'une des plus grosses maisons de disques en France, Magical Records, et je demanderai à voir le directeur artistique dans le but de lui faire écouter mes maquettes. Mon plan est peut-être défaillant car il ne prend pas en compte un éventuel refus mais c'est sûrement ce qui le rend le plus excitant. La marge d'erreur n'est pas permise, je dois y arriver et j'ai confiance en ce projet. J'y ai mis mes tripes, mes larmes, ma sueur, ma voix, ma vie, il ne peut pas échouer. Hors de question que ce prochain album passe inaperçu, hors de question de retourner à ma vie monotone. J'obtiendrai ce contrat coûte que coûte. Personne n'a écouté ces enregistrements, pas même Cynthia. Je crois en eux et ils sont la seule chose qu'il me reste, sans compter l'espoir.

La Tour Eiffel s'est éteinte depuis une dizaine de minutes et mon regard ère toujours dans le vide quand un klaxon me réveille de cet état presque hypnotique. Je me retourne et aperçoit le taxi que j'ai commandé pour me déposer à l'hôtel où je vais séjourner. J'attrape la valise à mes pieds et me dirige vers la voiture noire. Avant d'ouvrir la portière, j'inspire une grande bouffée d'air frais et je peux le sentir aux frissons parcourant mon échine, une nouvelle vie commence.

D'amour ou de gloire [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant