Chapitre 1 : Les portes du paradis

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Je savais que la réalité finirait par me rattraper. C'est maintenant, devant la porte de l'immense immeuble haussmannien, que l'angoisse me submerge. L'excitation de l'arrivée est passée pour laisser place à une boule dans mon ventre m'empêchant d'ouvrir cette porte. Pourtant, je connais le code de l'interphone, cela fait vingt minutes que le taxi m'a déposé et j'ai vu une dizaine de personnes entrer avant moi. Faisant mine de téléphoner, j'ai réussi à entrevoir le nombre sacré, celui capable de me mener à mon paradis. 6, 1, 3, 8. Je me répète cette suite de chiffres pour ne pas l'oublier et pour éviter de penser à ce qui pourrait mal tourner. Pile au moment ou mes pensées menacent de s'emballer, j'entends la sonnerie de mon portable retentir. Je fouille dans mon sac pour en sortir le téléphone. « Mounette » s'affiche sur l'écran et cette fois, je décroche pour de vrai.

— Allô maman ?

— Salut ma puce ! Alors, comment s'est passé ton rendez-vous ?

— Et bien, comment dire... Pour l'instant je me trouve devant la porte de l'immeuble.

— Et depuis combien de temps ?

Elle me connaît bien.

— Une vingtaine de minutes. J'ai un peu peur maintenant que tout devient si concret, je...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase.

— Ton cœur va bien ? Tu n'as pas de vertiges ? demande-t-elle, sa voix trahissant une grande inquiétude.

— Maman, soupiré-je. Les docteurs ont dit que mon cœur pouvait très bien supporter un petit coup de stress.

— Oui, mais je ne veux pas que tu refasses un malaise comme lors de ce concours de chant.

Je refuse de me remémorer cet évènement maintenant, surtout pas. Elle le ressent au silence que je laisse planer et tente de se rattraper.

— Mais bon, après tout si ce n'est qu'un petit coup de stress, tu peux le surmonter.

— Exactement. Je suis partie pour ce rêve, j'ai tout quitté et je ne peux pas laisser la peur ou mes échecs passés définir mon futur.

— Ouvre cette porte, fais-le, m'encourage-t-elle. Quand je pense à tout ce que tu as du surpasser pour en arriver là, je me dis que tu es exactement là ou tu dois être. Peu importe le résultat, tu sauras si ça en valait la peine après. Si tu n'y vas pas, tu vivras dans le regret de ne jamais avoir été jusqu'au bout.

Ma mère a toujours eu les mots pour me rassurer et à cet instant, je lui en suis plus que reconnaissante d'avoir téléphoné au bon moment.

— Merci maman.

— Pourquoi ?

— Pour m'avoir laissé partir et pour croire en moi même si tu aurais préféré me voir psychologue.

— Non ma puce, j'ai toujours voulu te voir heureuse, c'est différent, me rassure-t-elle. J'ai seulement peur que tu coures après une illusion ou un monde qui ne te correspond pas. Tu es si douce et en même temps si déterminée. Je suis admirative de ton indépendance et je sais que tu iras au bout de ce projet quoi qu'il arrive.

Elle marque une pause avant d'ajouter :

— Comme toutes les mères, j'ai souhaité te protéger et comme toutes les mères, j'ai parfois échoué ou fait des erreurs... Je suis désolée si tu as eu l'impression que j'entravais ton chemin cet été.

J'entends l'émotion dans ses mots tremblants et retiens une larme au bout du fil.

— C'est rien mounette. Moi je suis désolée de t'avoir causé autant de soucis.

— Et ce n'est pas terminé !

On rit ensembles et désormais je sais que je dois mettre fin à cet appel pour ouvrir la porte.

— Je vais entrer. Tu as raison, ce n'est pas maintenant que je vais me dégonfler.

— Tiens-moi au courant et fais attention à toi ma puce. Je t'aime.

— Je t'aime aussi.

Mon rythme cardiaque est redescendu. Je tape le code sur l'interphone et entre dans l'immeuble d'un pas assuré. Je monte en ascenseur jusqu'au deuxième étage et longe le couloir jusqu'à apercevoir le bureau de l'accueil bleu et blanc. Bingo. Je savais parfaitement à quoi il ressemblait grâce à mes recherches et aux photos que j'ai vu une tonne de fois sur les profils instagram de mes chanteurs et rappeurs préférés. J'arrive dans ce hall où la lumière orangée matinale perce les grandes fenêtres quand je tombe nez à nez avec une jeune fille. Assise derrière le bureau, elle ne daigne pas m'accorder un regard. Elle paraît jeune, je ne lui donnerai pas plus de dix-sept ans. Il s'agit sûrement d'une stagiaire. Je me râcle la gorge pour attirer son attention et elle me jette enfin un regard interrogateur. Je sens que c'est le moment d'approcher en gardant la tête haute.

— Bonjour, lui dis-je.

— Bonjour, répond-t-elle en mâchouillant son chewing-gum.

— J'ai rendez-vous à dix heures avec Monsieur Arnaud.

Evidemment, c'est faux. Mais si j'ai appris une chose des teen movies, c'est que le culot finit par payer. 

— Cool, quel est ton prénom ?

Moi qui espérais qu'elle ne soit pas si précautionneuse et qu'elle me croit sur parole, c'est raté. Je ne perds pas mon aplomb pour autant.

— Luna. Nous avions convenu avec Monsieur Arnaud d'un rendez-vous afin qu'il écoute mes maquettes.

Je vois dans ses yeux qu'elle n'y croit pas un mot.

— Bon, tu sais combien d'artistes viennent à l'imprévu et inventent des bobards dans l'espoir que leur carrière décolle une fois le seuil de cette porte franchi ?

Aïe. La conversation ne commence pas aussi bien que dans mon imagination. Je vais devoir opter pour l'honnêteté.

— Non, je ne sais pas. Ça fait des mois que je prépare ma venue ici et je me demandais si il y avait un petit créneau disponible pour moi. Cinq minutes me suffiraient amplement. 

D'un air désinvolte, elle me lance :

— Perso, moi j'en ai rien à foutre de qui passe cette porte ou ne la passe pas. Je suis en stage ici car je n'ai rien trouvé d'autre. Vas-y si tu veux, mais depuis que mon cul est posé sur cette chaise, je n'ai vu aucun artiste repartir avec un contrat. Il faut dire que les plus déterminés ne sont pas forcément les plus talentueux. T'as de la chance c'est lundi, mon vieux devrait être en forme et à l'écoute. Peut-être que ça marchera pour toi, qui sait...

Je comprends mieux comment cette fille si désagréable a eu sa place à l'accueil. Je ne sais pas si je dois prendre ses paroles pour des encouragements mais je me réjouis à l'idée de pouvoir passer à la prochaine étape sans trop d'accrocs.

— Merci, c'est sympa.

— Couloir en face, deuxième bureau sur la droite, dit-elle en soufflant comme si elle venait de fournir un effort surhumain.

J'inspire profondément et me dirige vers le bureau où je m'apprête à jouer les meilleures cartes de mon jeu.

D'amour ou de gloire [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant