Chapitre 0: Le Rouge

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"Le mal qui est dans le monde vient
presque toujours de l'ignorance...
Le vice le plus désespérant est celui de
l'ignorant qui croit tout savoir et qui
s'autorise alors a tuer.
L'âme du meurtrier est aveugle et il n'y
a pas de vraie bonté ni de bel amour
sans toute la clairvoyance possible."

Albert Camus, La Peste

L'ignorance serait donc le plus mesquin des boucliers.

404 av J.C - Grèce - Guerre du Péloponnèse

Sur une plage de Pirée au paysage habituellement apaisant, où le bruit des vagues et le cri des mouettes bercaient les habitants, se répandait une couleur rouge, un rouge profond, rempli d'amertume et de regret, un rouge écarlate, du sang.

Le bruit du fer qui s'entre choc avait pris la place des vagues, les cris des mouettes se transformèrent en cris de guerre désespérés, les hommes sanglotaient, espérants revoir un jour leurs familles, la plupart appelaient la Déesse de la Guerre en aide, mais la montagne de cadavres ensevelis sous un feu dansant réduisait peu à peu la foi de tous les guerriers.

Il fallait se rendre à l'évidence, Athena ne les aiderait pas, les Dieux n'existaient donc pas en ce bas monde, où alors s'ils existaient, ils avaient d'autres préoccupations que d'aider une poignée d'hommes servant uniquement d'armes et de chair à canon.

Tous les espoirs devenaient minces, mais au milieu de ce macabre spectacle, se dressait un homme ayant une vingtaine d'années, à contre-jour on pouvait à peine apercevoir son visage, le soleil couchant ne laissait qu'entrevoir son allure et l'ombre de la lance qu'il utilisait, il n'avait pas une carrure spécialement imposante, mais son visage couvert de sang et son habilité sur le champ de bataille lui offrait un certain charisme, il se démarquait du reste du paysage, cet homme là c'était Dynamai, un simple fils d'artisan qui avait dédié son existence au service de la cité qu'il aimait tant: Athènes.

Il luttait du mieux qu'il le pouvait, blessé au niveau de l'avant bras, il perdait beaucoup de sang, courait avec peine, et esquivait les flèches envoyées par les archers postés sur un bateau non loin de la plage, il vit nombre de ses camarades tomber à ses côtés, certains hommes avec qui il avait grandi étaient désormais défigurés par des coups de lance ou transpercé par des flèches, mais pas une seule larme ne glissait sur ses joues.

Tout ce qu'on pouvait voir en lui c'était une envie irrépressible de vivre, il fonçait droit sur ses ennemis, la dernière chose que ceux ci voyaient avant de mourir, c'était son heaume argentée qui laissait entrevoir ses cheveux bruns mi-longs qui prenaient une teinte orangée à la lumière du soleil, et un air désolant dont le regard trahissait le rôle sans pitié qu'il endossait, montrant qu'il était attristé par l'acte cruel qu'il était entrain d'exécuter, ses yeux avaient l'air de dire:

« Je suis navré, je ne fais que survivre ici. »

La bataille s'acheva après l'arrivée des renforts Athéniens, les pertes se comptaient par centaines mais la lutte avait fini par porter ses fruits, et Pirée avait fini par triompher.

À l'instant où l'ennemi rappela ses troupes, Dynamai s'écroula de fatigue et hurla de tout son cœur, des larmes ne cessaient de couler de ses yeux ambrés, il pleurait de joie.
Le soulagement d'avoir survécu, la fierté d'avoir accompli son devoir, il extériorisait enfin ce qu'il avait gardé en lui durant ces 30 heures de bataille acharnée.

Mais son cri reflétait une profonde colère mêlée à une tristesse sans pareille, il n'avait jamais voulu tuer personne, il se sentait coupable d'avoir ôter tant de vies, d'avoir privé des familles de leur fils, mari, ou père.
Il était conscient qu'ils étaient dans la même situation que lui et qu'ils n'étaient individuellement pas responsables du conflit.

Mais c'était sa vie ou la leur, alors il a choisi la sienne.

Une voix douce et rassurante portée par le vent arriva aux oreilles de Dynamai:

« Pour avoir protégé ma cité, mes valeureux guerriers, moi, Athena, vous remercie sincèrement. »

Cette phrase résonnait dans la tête de Dynamai, comme une prophétie divine, et il jura de ne jamais l'oublier, il promit de consacrer sa survie aux Dieux et à la paix.

Car quand on a connu la guerre, on sait à quel point la paix est précieuse, quand on a côtoyé la mort, on sait à quel point la vie est miraculeuse.

C'est quand le malheur nous a déjà enrobé qu'on saisi l'évanescence du bonheur.

Dynamai fût promu général de guerre grâce à ses exploits reconnus par tous.
C'est ainsi que peu à peu il gagna en pouvoir, se maria une femme de bonne famille, et devint seigneur d'un petit territoire près d'Athènes, là où il avait survécu à sa dernière grande bataille, sur l'Île de Cythère.

Cet homme profondément traumatisé par les conflits fit tout son possible pour léguer à ses enfants toutes ses connaissances, il eu 3 filles qu'il voulait à tout prix épargner de la guerre mais aussi de l'ignorance.

L'ignorance c'est une facilité qui épargne les faibles des leçons apprises par autrui, car si on ignore, on reproduit les mêmes erreurs.
Ne pas savoir, c'est se protéger du mal qu'engendre des vérités douloureuses, c'est éviter les déceptions et contourner les sentiments les plus négatifs.
La conscience nous dicte ce qui mérite d'être connu, mais aussi ce qui mérite d'être oublié.

Pour certains, la curiosité est un vilain défaut, pour d'autres, elle témoigne d'une soif de connaissance et d'une envie d'être confronté au monde qui nous entoure.

Ne pas faire face à un drame, fuir la réalité, nier une vérité trop dure à encaisser, s'auto-persuader, réinventer des souvenirs...
Le cerveau est capable de bien des miracles quand il s'agit de protéger les sentiments de son hôte, néanmoins, est-ce toujours la bonne solution ?
Le déni n'aurait-il pas de faiblesses ?
Est-ce que vivre naïvement en étant inconscient de l'intégralité de sa propre existence, avec un sentiment de nostalgie permanent, comme si une partie du "Moi" était manquante, permet d'apprécier la vie ?

Vous, lecteurs, ne vous êtes vous jamais demandé ce qui est advenu des milliers d'instants de vie que vous avez égarés ?
Qu'est-ce qui constitue réellement l'être humain que vous êtes aujourd'hui ?
Qui êtes « vous » ?

Ce récit contera une quête existentielle, la recherche d'un "Moi" perdu au travers les regards, un "Moi" qui se cache.
Un « Moi » qui a oublié ce qui lui faisait du mal.

L'histoire de Psyche, l'une des filles de Dynamai, et de sa rencontre inopinée avec Eros, le Dieu de l'Amour.

PsycherosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant