Chapitre 1 - Le départ

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Pour moi, la vie a toujours été comme une partition de musique.

Un morceau au rythme naturel et familier, une mélodie où chacun des instruments possède une place bien définie. On n'attend pas de la part d'un flûte qu'elle donne une base rythmique à la chanson, ni d'un cajón qu'il lui donne une tonalité. Comme pour chacun des instruments, la partie que je suis censé jouer m'est propre et participe à créer l'harmonie du tout. Si je me mets à faire n'importe quoi, à sortir de mon rôle, cette harmonie est brisée.

Alors, laissez-moi dire que ce qui est sur le point de se produire est une dissonance sans nom dans la balade tranquille de mon existence.

— Samuel, hijo, tu as pensé à prendre ta brosse à dents ?

Cette question inquiète de ma mère, noyée dans la cacophonie générale de l'aéroport de Bogotá, ne manque pas de m'attirer l'attention. Dansle spectre des objets dont l'absence pourrait m'inquiéter, ce n'est sans doute pas le premier auquel j'aurais pensé.

Les yeux de chouette qu'elle braque sur moi sous son chapeau à plumes laissent néanmoins croire qu'elle est vraiment sérieuse.

, mamá. Et quand bien même je l'aurais oubliée, ils en vendent aussi en Italie, tu sais.

— Oh, quand on est à l'étranger, on ne sait jamais. Mieux vaut être préparé à tout.

Je me demande bien d'où lui viennent ces conseils avisés, sachant qu'elle n'a jamais mis un pied hors de la Colombie. Si je suis moi-même tout sauf téméraire, il y a encore plus trouillard que moi : ma mère. Depuis toute petite, elle est terrifiée par les chats noirs, la foule, les tests psychologiques, les gastéropodes, les films indépendants... Tout, en fait.

— Tu as pris des slips de rechange, aussi ?

Sa nouvelle question me fait instantanément soupirer et lever les yeux au ciel. Parfois, je me demande sur quelle planète elle vit. À croire qu'elle n'a toujours pas remarqué que c'est moi qui me charge de vérifier le sac d'école de mes frères et sœurs depuis que je suis en âge de parler.

Dios mío, mamá ! Tu veux vérifier s'ils sont propres, peut-être ?

À côté de moi, ma sœur cadette, Daniela, se met à pouffer.

— Elle en serait capable.

— Daniela, basta ya ! l'interrompt aussitôt ma mère d'une voix ferme, avant de soupirer. Ay, je suis tellement inquiète... Antonio, est-il vraiment obligé de faire ça ?

Mon père, jusque là plutôt en retrait, lui répond d'un ton monocorde :

— Oui, car Diego est un Quintero. Il doit le faire, comme tous les autres avant lui.

Court. Ferme. Efficace. Les répliques de mon paternel sont à l'image de la manière dont je l'ai toujours vu gérer notre famille : d'une poigne assurée et dépourvue d'émotion.

Dans sa tirade, un mot me néanmoins fait tiquer.

— Papa, je ne suis pas Diego.

— Pour moi, tu le seras toujours.

Comprenant que le roc ne me laissera pas gain de cause, je lâche un soupir résigné.

— Moi, je maintiens que notre fils ne devrait pas perpétuer cette tradition, réattaque ma mère. Surtout après ce qui est arrivé à ton frère !

En sentant mon cœur s'emballer, j'en veux aussitôt à ma mère de remettre ce sujet sur la table. Ses mots mettent le doigt sur l'une de mes peurs les plus enfouies.

Samuel et l'air de l'incertain [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant