Les Quatre Infernaux

Le secret de Louis Serra

Confortablement installé sur le chef d'œuvre que lui avait confectionné la Faiseuse de Lit pour sa rentrée, Louis Serra lisait. Il lisait la Constitution des Élitiens, un lourd pavé indigeste de règlements que chaque élève devait connaître par cœur, mais, il faut bien l'avouer, rares étaient ceux qui en avaient touché la couverture, une fois leur épreuve du Prétendant passée.

La plupart des élèves de l'école de l'Élite, avant de faire partie de la plus prestigieuse école du royaume, étaient des élèves. Et à ce titre, ils se jugeaient plus concernés par la pratique d'exercices que par la lecture de pavés sur l'histoire de l'école. D'après eux, il suffisait d'un peu de bon sens pour connaître les interdictions et règles auxquels ils étaient soumis. Ce en quoi il n'avaient pas tout à fait tort.

Mais pour Louis Serra, qui désirait depuis sa plus tendre enfance devenir Élitien, ou même, devenir capitaine des Élitiens, ce gros recueil de règles était une relique. Le jeune Prétendant le manipulait avec mille précautions, et le lisait chaque soir avec plaisir, comme on retrouve avec joie un vieil ami qu'on n'a pas revu depuis longtemps.

Aussi, le jeune Prétendant pouvait entrer dans une fureur folle dès qu'il entendait quelqu'un critiquer le livre qu'il aimait plus que tout au monde, à l'exception d'une seule personne. À vrai dire, cette personne était précisément la pomme de discorde entre le livre et Louis Serra. Car le livre interdisait à Louis Serra ce qu'il préférait le plus au monde.

Cependant, aujourd'hui, le jeune Prétendant lisait un article passionnant du gros livre, si bien qu'il avait provisoirement oublié ce qu'on pourrait qualifier de petit différend.

Aussi poussa-t-il un grognement lorsqu'un léger bruit vint interrompre sa lecture. Toutefois, il leva le nez avec curiosité, et sa curiosité s'agrandit lorsqu'il constata qu'un lit venait de se poser à côté du sien.

Dans l'école de l'élite, les lits fonctionnaient selon un système magique : chaque lit était rattaché à une plume. Il suffisait de glisser la plume de son lit dans le casier de son choix pour que le lit se déplace dans la pièce correspondante.

Mais peu de Prétendants choisissaient de dormir, comme Louis Serra, dans la Bibliothèque des Prétendants, où il se trouvait. En effet, les livres étaient rangés (pour autant qu'on puisse appeler cela ainsi) dans le désordre le plus complet, et la moindre vibration contre les étagères pouvait provoquer des avalanches à tout moment. On racontait d'ailleurs qu'un Prétendant était déjà mort, englouti par une avalanche de livres. Selon Louis, ce n'était qu'une histoire pour inciter les élèves à faire attention, même s'il savait que la lecture était dangereuse et pouvait provoquer de graves blessures.

Louis hésita un instant, puis tira le rideau du lit, qu'il n'avait encore jamais croisé dans les pièces où il s'était rendu. Un large sourire remplaça sa colère vis-à-vis de l'élève qui avait osé interrompre sa lecture lorsqu'il le reconnut : il s'agissait de Julius Maxima Purple.

Le jeune Prétendant était rayonnant : un petit arbre doré brillait sur sa luide, étincelant. Il ne possédait pas encore des branches, mais mille racines menaient au jeune tronc.

-J'ai réussi l'épreuve du Prétendant! s'écria-t-il triomphalement.

Louis ne put cacher un sourire à cette annonce :

-Je m'en serais douté, se moqua-t-il. Sinon, tu ne posséderais pas de lit, et surtout, tu ne te trouverais pas dans l'école de l'Élite.

Mais Julius ne l'écoutait même plus, intarissable de détails : comment il avait reçu la lettre de l'école, avait obtenu sa luide et était revenu en trombe au château du roi, qui abritait l'école en son sein, la queue qui menait à la Faiseuse de Lit, comment il avait obtenu une plume bleue pour dormeur agité (et là, Louis jeta un coup d'œil au lit bleu-marine dont il n'avait même pas remarqué la couleur), pour finir par les casiers qu'il avait déjà testés.