La Volonté du Diable

Chapitre 2 - Drina

Je sais que les Lycanthropes émettent une odeur corporelle des plus désagréables, du genre chien mouillé à taille humaine. Mais je n’en ai jamais senti une qui soit aussi nauséabonde que celle de ma proie actuelle. Pour une raison tout à fait logique : c’est la première fois que je chasse un loup-garou de cette trempe. Et la dernière, ainsi que le souhaite mon odorat.

Cela dit, je me plains, mais la situation m’arrange bien : il sent si fort que son fumet en devient visible. Et cette trace floutant légèrement le bitume, invisible pour un humain – qu’il ait accès à la magie ou non –, me permet de suivre ma cible à bonne distance.

Même s’il se trouve à plusieurs dizaines de mètres devant moi, les pas du loup solitaire résonnent avec force à mes oreilles. Je ne suis nullement gênée par les bruits causés par la foule humaine, compacte à cette heure. Mon attention toute entière s’est verrouillée sur le loup-garou sans que je ne l’aie choisi. « C’est ça, être un prédateur. » m’a maintes fois répété mon père lorsqu’il supervisait mon entraînement.

En revanche, j’ignore tout de son habitat : il a beau sentir le furet, il n’est pas idiot. Il a appris à se perdre dans la ville avant de rentrer chez lui, de façon à embrouiller un potentiel pisteur. L’unique moyen pour un loup-garou sigma de masquer sa solitude et se faire passer pour une meute entière, afin de décourager les plus couards de l’attaquer. Or, vu le relent qu’il diffuse, celui-ci a intérêt à enchaîner les kilomètres de marche.

Qu’à cela ne tienne.

Moi, j’ai appris à patienter.

Néanmoins, une bouffée de satisfaction m’envahit lorsque le lycanthrope s’arrête devant l’immeuble où il semble vivre. Le moindre doute étant dissipé face au nuage odorant qu’il a déposé à force de courir autour du bâtiment pour marquer son territoire.

Afin de ne pas lui donner l’impression que je l’ai pris en filature, je me retourne le temps qu’il compose le code d’entrée. Comme toujours dans le quartier de The Rocks, les distractions offertes par les touristes sont nombreuses, il ne m’est donc pas difficile de jouer les observatrices. Mes yeux se posent sur un trio de Français, deux filles et un garçon, qui tentent avec maladresse de se faire passer pour des locaux, et les suivent quelques instants – le temps pour mon homme de pénétrer dans son immeuble.

J’attends encore trois secondes, pour la forme, avant de faire volte-face et de me diriger vers la porte d’entrée aux larges vitres. Ne pas connaître le code d’entrée n’est pas un problème. Vérifiant que personne dans la rue ne fait attention à moi, je force les cellules de mon corps à oublier leur tangibilité et m’avance d’un pas, traversant la matière comme s’il ne s’agissait que d’air. Sitôt que je me trouve à l’intérieur du hall vide, mon corps retrouve sa consistance solide et le halo doré dont s’étaient couverts mes avant-bras se dissipe.

Légèrement essoufflée, je me laisse le temps de reprendre ma respiration puis m’élance dans les escaliers. La trace aussi olfactive que visuelle me guide au onzième étage. Lorsque je l’atteins en une minute, c’est l’appartement le plus éloigné qui m’appelle. Je m’en vais donner quelques coups légers à la porte mais un bruit de conversation m’interpelle.

Mon loup solitaire ne l’est pas tant que cela.

Je colle une oreille au bois et ferme les yeux pour mieux me concentrer. L’autre voix est féminine. Et de ce que j’entends, la demoiselle en question ne comprend pas pourquoi son copain a fait autant de détours sans jamais s’arrêter avant de rentrer chez eux – ah, la géolocalisation ! C’est donc une humaine. Aucun vampire n’oserait traîner dans mes pattes, une sorcière connaîtrait les précautions à prendre lorsque l’on n’appartient pas à une meute. Quant à une louve, ce n’est pas la peine d’y penser : les Sigma se tiennent à bonne distance de leurs semblables.