Chapitre 1 - Kaï

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Un clic. Deux clics. Trois clics. Et une dizaine d'autres à la suite.

Me voilà enfin satisfait. Après une heure de traque et des remontées trop nombreuses à mon goût mais nécessaires pour ne pas éveiller les soupçons, je suis parvenu à capturer des images nettes de ce poisson. Tenace, l'animal m'échappait sans cesse.

Mais, tenace, je le suis plus encore.

Je relève la tête vers Maxime, qui a observé la course poursuite entre son poisson et moi. Voilà quelques jours qu'elle l'avait repéré dans le récif que nous surplombons et, une nouvelle fois, sa passion pour ces jolies bestioles a frappé. Elle n'avait donc pas traîné pour réclamer mon aide ; sitôt rentré de mission, j'ai dû me transformer en photographe pour poisson. Merci grand-frère !

- Bien joué ! s'exclame ma spectatrice comme si nous nous trouvions à l'air libre. Je savais que tu y arriverais !

Avec ses cheveux blonds qui flottent autour d'elle et son sourire lumineux, ma sœur ressemble à un ange. D'où le fait que je ne puisse refuser de lui rendre des services comme celui-ci.

- Je remonte, m'informe-t-elle ensuite. Tu viens avec moi ou tu restes ici ?

Pour toute réponse, je lui tends mon appareil photo. Maxime n'a pas besoin de paroles pour comprendre que j'ai atteint ma limite de sociabilisation et qu'il me faut un peu de solitude pour recharger mes batteries. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on me traite de misanthrope.

Mon appareil en main, un faible courant aquatique généré à ses pieds afin de remonter sans effort, Maxime me laisse donc seul. J'en profite pour effectuer un tour sur moi-même et me retrouve en position de planche, les bras écartés pour me stabiliser. De cette façon, je peux admirer la surface de l'océan, à peine plus claire que la zone qui m'entoure.

À chacun de mes mouvements, la chaîne en argent qui ne quitte jamais mon cou bouge avec un temps de retard.

Toutefois, même si cette jolie vue ne peut me lasser, je me décide au bout de quelques minutes à remonter de la même manière que Maxime. S'il n'avait tenu qu'à moi, j'y serais resté des heures ; le silence aquatique est préférable au bruit permanent qui règne sur la plage. Mais le sentiment de vulnérabilité causé par l'absence de mon Feu - pourtant logique dans un tel environnement - se fait trop présent pour que je le tolère une seconde supplémentaire.

De plus, en tant que sorcier prouvé, je suis censé éviter chaque situation anormale aux yeux des Hivotty. Comme plonger des heures sans oxygène en bouteilles. Je suis pourtant presque sûr que, si j'étais resté tout ce temps sans remonter à la surface ni utiliser de matériel adapté, personne ne s'en serait rendu compte. La plage est trop infestée de touristes nord-européens venus profiter de vacances estivales tardives pour que quelqu'un fasse attention à un jeune nageur. L'amende promise en cas d'une connerie pareille suffit néanmoins à refroidir mon envie de prendre ce risque. À la place, la voix de mon frère, major de sa promotion et toujours prêt à me donner des conseils, résonne en moi comme à chaque fois que je peste contre les Hivotty à cause desquels je ne peux m'exprimer. « Ne donne jamais l'occasion à un hivott de comprendre à quel point tu es différent de lui. » Vivement le jour où on aura enfin le courage nécessaire pour se révéler au public...

C'est en caressant ce rêve inaccessible que je crève la surface, serrant les dents pour ne pas grelotter comme un enfant. Deux gloussements féminins attirent alors mon attention. Manifestement, les deux espagnoles sur ma gauche me trouvent tout à fait à leur goût. Et il y a de quoi : mes cheveux d'un blond presque blanc, typiquement nordique, et la fine musculature que j'ai développée à force de travail sont deux atouts qui me distinguent. Je reste néanmoins insensible au charme de ces demoiselles et me contente de les saluer.

La Volonté du DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant