Dans la forêt

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À peine ses companions étaient-ils sortis des sous bois qu'Arik remontait la pente qu'il avait dévalé à l'instant pour s'agripper au col d'Agheel qui avait eu le malheur de passer en tête, le secouant d'avant en arrière en criant :
-"Ça y est, on y est, c'est là, c'est village, c'est là qu'il fallait aller pour la première mission ! On va aller dans la forêt et après..."
-"Oui ! Oui, c'est bon, on a compris, arrètes de geuler !" Répondit-il en attrapant à son tour les poignets de son ami, aténuant ainsi le mouvement de va et viens.
-"Nous allons d'abord nous rendre au village pour y passer la nuit." Intervint Nirven en posant sa main sur l'épaule du jeune homme, lui signifiant de lacher prise. "Demain à l'aube, nous nous rendrons dans la forêt."
-"Demain ? Pourquoi pas maintenant ?" Demanda Arik, coupé dans son élan.
-"Une mission est une affaire sérieuse, nous ne pouvons pas nous rendre dans la forêt après deux jours de marche presque sans avoir mangé, ce serait bien trop risqué. D'autant qu'il est d'usage de se présenter au client avant de commencer une mission." Répondit-il.
Le chef du groupe n'avait pas tors, les ombres s'allongeaient, le soleil était bas et maintenant qu'il y pensait, n'ayant pas avalé grand chose depuis son départ de la ville afin de conserver de quoi tenir au retours, le jeune homme sentait son ventre lui faire mal.
Devant cet état de fait, il n'insista pas et le petit groupe entamait sa descente vers le village.
Lorsqu'il arriva devant la baricade, une chose sauta aux yeux d'Arik : les innombrable entailles, creusant le bois comme autant de plaies ouvertes s'enfonçant dans la chair desquelles résonnaient les échos de terribles combats, les plus profondes d'entre elles pénétrant les planches sur plusieurs centimètres pour s'étirer sur plus d'un mètre de longueur.
"Qu'est-ce qui a bien pu causer ça...?"
Alors que le jeune homme s'attardait sur une marque particulièrement profonde, Agheel lui tira le bras d'un coup sec tandis que le reste du groupe, ne semblant pas se préocuper de l'état de la baricade, s'arrêtait devant la porte, encore plus abimée que le reste de la structure.
-"Pardonez moi !" Cria Nirven à l'intension de la personne qu'il supposait se trouver de l'autre côté."Y a-t-il quelqu'un derrière cette porte ?"
S'en suivirent plusieurs secondes de silence au terme desquelles s'éleva une voix rauque.
-" 'Voulez quoi ?"
-"Nous sommes des aventuriers, nous venons pour la requête que vous avez soumis la guide !"
Il fallut quelques secondes de plus avant que sur le ciel jaunâtre du soir se dessine avec peine la silouhette d'un homme à l'âge avancé, un bonnet de toile enfoncé sur la tête rabattant ses cheveux noirs et graisseux sur son front autant maculé de terre que l'étaient ses vêtements en haillons. Plus bas, un gros nez tordu surplombé de sourcils brousailleux faisaient ressortir au millieu de ses rides creusées par les hivers deux petits yeux bleus dans lequels se lisait un soulagement teinté de méfiance.
Il fit signe à une autre personne et bientôt, la porte s'ouvrit en raclant le sol, dévoilant une multitude de bâtiments de bois au toîts de paille, troués pour la plupart, visiblement positionnés au hazars dans l'enceinte du village, pour ne former aucune route cohérente, juste un dédale de chemins boueux.
Les aventuriers passèrent le seuil, acceillis par les regards intrigués et méfiants des quelques villageois dans un état aussi déplorable que celui du vieillard qui les avait fait entrer.
À la fois mal à l'aise et désolé par la situation de ce village, Arik ne savait que dire. Son entrain l'avait quitté. Il voulait aider ces gens mais que pouvait-il faire face à une telle situation ?
Le vieux bougre descentit avec peine de l'échafaudage constitué de fins troncs d'arbres attachés ensemble tantôt par de vieux clous rouillés, tantô par une simple ficelle. Cette structure servait à soutenir un escalier irréguilier et grinçant dont il se servait pour accéder à une petite plateforme depuis laquelle il était possible de voir au dessus de la baricade. Au passage de l'homme, les planches craquèrent si fort qu'on aurait juré que chaque marche se brisait sous son poids.
-"S'par là, suivez moi." Marmona-t-il lorsque ses pieds touchèrent le sol mou.
L'homme commença à avancer en clodiquant. Nirven fût le premier à lui emboîter le pas, bientôt suivi du reste du groupe.
Tandis que le vieillard guidait les aventuriers à travers ruelles désordonnées, Arik regarda ses companions. Tous arboraient un air semblable au sien. Ils avaient beau partager le même embarras, nul ne prononça un mot et c'est dans le silence qu'ils arrivèrent devant une maison un peu plus grosse et au toît dans un état un peu moins lamentable que les autres. Leur guide ouvrit la porte, leur permettant d'entrer avant de la refermer derrière eux.
L'intérieur, bien que plutôt spacieux, était presque entièrement vide. Les aventuriers, accompagnés d'une petite commode dans le coin d'un mur, d'une chaise et d'une table surmontée de deux bougies à moitié fondues, constituaient les seuls occupants de cette vaste pièce. Le jeune homme supposait qu'un tapis avait un jour recouvert une partie du sol de bois étant donné le carré clair au centre de la pièce tranchant avec le parquet assombrit par le temps et l'humidité, cette différence mise en évidence par le rayon du soleil mourant qui s'engoufrait par l'unique fenêtre au volet à moitié brisé de la pièce. À l'opposé de celle-ci, un mur délimitait l'espace et bien qu'un encadrement de porte s'y trouvait, celle-ci se trouvait remplacée par un trou béant, laissant ainsi entrevoir une seconde salle plus petite.
C'est d'ici que sortit un homme chauve, une barbe brousailleuse grise et blanche lui mangeait le bas du visage et ses vêtements de toile étaient aussi sales et déchirés que ceux des autres villageois. Il releva la tête et remaqua enfin les aventuriers. Confus, il se mit à bégayer :
-"Oh, euh "hum" bonjours, je suis l'... "hum" le chef du village, qu'est-qu'il vous amène ici, m'sieurs-dames ?"
Sa voix enrouée résonait dans la pièce vide, Arik remarqua que ses jambes tremblaient.
-"Bonjours, nous somme les aventuriers venus pour l'élimination des gobelins, vous êtes bien Monsieur Barlatt?" Demanda Nirven en avançant d'un pas.
À ces mots, le regard du chef s'illumina :
-"Oui ! oui, oui, c'est moi, merci d'vous être déplacés jusqu'ici, v'zavez besoin de quelque chose ? À manger ? Dormir ?"
-"En effet, nous sommes épuisés et n'avons presque pas mangé ces jours-ci, ce serait avec plaisir."
À ces mots, le ventre d'Arik se mit à gargouiller. Manger commençait à devenir urgent.
-"D'accord, bougez pas. Pour la paie, ce sera à la fin de la mission, c'est écrit sur l'papier."Répondit-il en se dirrigeant vers la porte d'entrée. "Vous pouvez dormir chez moi, 'y a d'la place. Et bougez pas, j'vais vous chercher à manger."
Les aventuriers restèrent un moment au centre de la grande pièce vide, sans rien dire. Arik était de plus en plus perplexe, ce village ne souffrait pas que des golelins. Il n'avait vu presque aucun champ aux alentours, le terrain formait une cuvette... il avait déjà connu des campements installés sur ce genre de terrains. L'eau de pluie coulait des hauteurs, s'aglutinait dans une mince parcelle de terre jusqu'à la saturer, la rendant boueuse, faisant pencher les maison et permettant aux maladies de se développer. Les ordures s'y accumulaient jusqu'à changer la boue en une mélasse immonde après quelques jours d'averse. Cette topographie était une malédiction dans les montagnes, impossible d'y construire ni d'y cultiver quoi que ce soit. Plusieurs fois, un emplacement qui paraissait idéal avait dû être abandonné à cause d'un creu boueux au pied des montagnes.
La porte s'ouvrit en grinçant, tandis qu'entraient une dixaine de personnes, toutes portant dans un sac ou sur une assiète de bois une maigre portion de nourriture. Tour à tours, sans rien dire, ils vinrent déposer leur présent sur le bureau face à l'entrée, repartant après s'en être séparé. Il ne l'avait pas remarqué tout à l'heure mais lorsqu'il vit tous ces villageois entrer pour leir livrer le peu de nourriture qu'ils possédaient, le jeune homme ne put que constater l'état de maigreur dans lequel se trouvaient la plupart d'entre eux. Le chef du village vint en dernier, disposant au côté de la nourriture quatre cuillères de bois.
-"Merci bien." Lui adressa sobrement Nirven avant que l'homme ne se retire  esquissant un sourrire forcé.
Les compagnons d'Arik se placèrent debout autours du bureau fans un silence de mort.
Le jeune homme resta immobile, ne sachant que faire. Il se refusait à l'avouer mais il avait faim. Horriblement faim.
Son ventre mais aussi son corps tout entier réclamait le la nourriture. Quelque chose à manger, n'importe quoi.
La bestiale avança sa main vers un bol de soupe, le tirant vers elle et commença à manger, bientôt suivie d'Agheel qui attrapa une miche de pain noir, en détachant un morceau pour le fourer dans sa bouche et mâcher lentement. Alors que Nirven commençait à son tour, le jeune homme avança jusquà la table et entreprit à contre coeur le douloureux processus. Ce soir-là, quatres aventuriers mangèrent, droits comme des piquets.

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