Le jour déclinant laissait doucement sa place au crépuscule, annonçant les prémices d'une nuit froide qui approchait à grands pas. Dans sa chambre miteuse, Heisenberg avait tout de même pu se doucher - à l'eau froide - et avait même fait une sieste. L'absence d'électricité et le manque d'objets en métal l'obligeaient à supporter encore et toujours ce sentiment d'impuissance qui l'habitait depuis sa marche en montagne. Après un repas fort attendu et copieux, composé de jambon de Bayonne qui l'avait spécifiquement demandé après avoir entendu que c'était une spécialité de la région, il se sentait à peu près d'attaque pour parcourir les terres boisées et labyrinthiques de la chaîne de montagne. La direction que lui avait donné Elizabeth n'était pas précise, mais c'était mieux que rien. Eh puis, c'était à peu près de cette façon qu'il était tombé sur l'auberge, fouillant la zone boisée pendant près de deux heures. Des pauvres démons résidant à l'auberge, il n'avait pas obtenu d'information complémentaire et s'était contenté de quelques cigarettes demandées ici et là. Ils se méfiaient tous de lui avec raison, mais Karl avait aussi remarqué qu'ils adressaient des regards similaires à Elizabeth, comme s'ils les rangeaient tous les deux dans le même panier. Peut-être avaient-ils pris l'habitude de se méfier de tout ce qui venait du monde extérieur ?
Il restait toutefois à Karl un détail à régler avant de partir : sa monture. Il avait compris rapidement que partir à la recherche de cet Arbre hypothétique à pieds serait contre-productif, et il n'y avait évidemment aucun cheval dans le coin. Aussi s'était-il empressé de demander à sa nouvelle alliée si l'auberge renfermait un endroit où il trouverait des objets métalliques en quantité importante. La jeune femme avait froncé les sourcils et l'avait dévisagé avec curiosité avant de lui indiquer la direction de la cave, où il trouverait son bonheur. D'après elle, Louis y stockait diverses babioles qu'il avait accumulé d'années en années et dont il n'avait jamais cherché à se séparer. Elle était restée vague sur la nature et la quantité de ces objets mais en avait profité pour imposer une condition sine qua none : il n'irait pas seul, mais devrait l'attendre et c'est elle qui déverrouillerait la porte. Heisenberg se garda de lui faire remarquer qu'il pouvait faire éclater le verrou en un claquement de doigts et se servir. Il suspecta qu'elle était déjà arrivée à cette conclusion et préféra minimiser les risques de gâter leur relation qui demeurait à peu près amicale. Elle lui avait offert une aide précieuse et il trouvait inapproprié de lancer des hostilités.
Il se retrouvait donc prostré à attendre comme devant un arrêt de bus, près de l'archéenne porte ornée d'un loquet en fer rouillé qui ouvrait apparemment la caverne servant de cave. Le faire voler en éclat le démangeait de plus en plus, car il n'avait jamais été très patient. Il le fixait avec mépris, comme si c'était un insecte en train de le narguer, et pestait en pensée contre les circonstances et les exigences de cette naine. Sa manie d'exercer un certain contrôle sur la situation était indéniablement irritante, mais Karl la préférait toujours à la grande Dimitrescu, et de loin.
Il parvint à se maîtriser jusqu'à ce que la naine le rejoigne enfin, dévalant les escaliers de pierre avec une lenteur horripilante qu'Heisenberg soupçonna d'être volontaire. Sa main droite tenait avec fermeté un anneau auquel était accroché une série de plusieurs clés de taille démesurée. Sa main gauche soupesait une sorte de coupole dans laquelle était posée une petite cage contenant une bougie allumée, formant une lanterne de fortune. Dans un silence glaçant, elle passa devant lui sans ralentir et déverrouilla la porte avec l'une des clés. Heisenberg leva les mains en réaction à la froideur apparente d'Elizabeth et se chargea d'ouvrir grand la porte en attirant vers lui et la poignée métallique par la pensée. La porte en bois suivi le mouvement et manqua de peu d'assommer Elizabeth, qui poussa un petit cri de surprise mais ne broncha pas.
Lorsqu'ils entrèrent dans la grotte de pierre, ils furent accueillis par le parfum enivrant des vieux alcools typique des caves à vin, trahissant la présence de bouteilles pleines reposant là depuis des dates indéterminées. L'odeur était à peine gâchée par les relents d'humidité bien moins plaisants qui flottaient également dans la pièce caverneuse. Elizabeth avait déjà retiré la bougie incandescente de sa cage et s'en servait pour allumer les autres bougies trônant au milieu des toiles d'araignées poussiéreuses comme des reliques abandonnées d'époques immémoriales, soudain perturbées dans leur repos. Ainsi, la pièce se dévoilait peu à peu, retirant son masque de ténèbres comme si le soleil s'y levait. Heisenberg avait senti dès son entrée le magnétisme des vieux objets métalliques qu'elle renfermait, et les contempla quelques secondes maintenant qu'il pouvait les voir. Les mains sur les hanches, il évalua la quantité, la forme, et le nombre d'objets. Il visualisa pensivement la manière la plus optimale de les agences les uns par rapport aux autres, s'attelant à chercher de quelle façon il allait obtenir le résultat qu'il voulait. Après avoir tracé mentalement les plans de sa future construction, il estima qu'il y avait tout ce qu'il lui fallait.