Chapitre 8 - Anthos

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D'abord, je rêvais. Je ne voyais rien, n'entendais rien, ne sentais rien. Mes yeux étaient clos, et je rêvais, continuellement. Je me savais en sécurité, recroquevillé dans mon cocon, caché à l'abri des regards. J'ai rêvé d'éternité, nu et pur, en me demandant où mon rêve se planterait-il pour germer et croître. Puis, j'ai ouvert doucement les yeux, aveuglé par des visions nouvelles que je ne comprenais pas. Ça ne ressemblait plus à mon rêve. La lumière a chassé les ténèbres, balayant la nuit et captivant mon regard. J'ai pris de l'ampleur, grossissant sans le vouloir, me renforçant sans le savoir. Mes bras s'allongeaient, ondulant par dizaines autour de mon corps. Mes pieds étaient toujours enfoncés dans le sol, libérant mes enfants. Mes précieux enfants.

Je les ai laissés se balader, explorer les environs, s'émanciper de mon enveloppe corporelle. Ils étaient curieux, comme moi, de découvrir les terres qui leur tendaient les bras. Je les ai contemplés fièrement, refaçonnant le monde autour de moi. J'ai réalisé qu'ils faisaient encore partie de moi, que nous formions un tout, un esprit unique. Grâce à eux, j'ai conquis les terres et l'air autour de moi, m'invitant chez les autres. Et les autres devenaient comme nous, comme moi.

J'ai découvert que je pouvais prendre une nouvelle apparence, projeter un autre moi sur ces terres. Il ressemblait à ces étranges primates aux vies vaines et insensées. Alors, j'ai essayé de communiquer avec eux, mais ils étaient trop bêtes. Ils ne comprenaient pas. Quelque chose leur faisait défaut.

J'ai ensuite pris conscience que c'était mon cas aussi : quelque chose me manquait. J'étais limité dans mes mouvements, dans mon expansion, dans ma conquête de territoire. Ce que j'avais déjà, il m'en fallait plus, si je voulais évoluer. C'était ça. Si je pouvais en trouver plus...

Et alors, ils sont venus à moi. Deux autres de ces primates dérisoires. Deux hommes, je crois. Étrangers à ces terres, apparemment amis, se déplaçant dans une calèche tirée par deux chevaux. Je les ai d'abord sentis arriver. Puis, intrigué, je les ai observés avec attention grâce à mes sentinelles jaunes. L'un d'entre eux était exceptionnel. J'ignore pourquoi, mais quelque chose en lui le rendait très similaire à ce que j'étais. Similaire, mais pas identique. Il avait ce qui me manquait. Il fallait que je m'en empare. Après avoir observé son attitude quelques temps, il me paru clair qu'il ne me céderait rien si je me contentais de le lui demander gentiment. Je devais le lui prendre même si je devais employer la force. Mais, hélas, ça ne pouvait se faire à si grande distance. Il était hors de ma portée. Alors, j'ai lu dans son esprit pour savoir ce qui pourrait le mettre en confiance et j'ai rassemblé mes forces pour créer un autre moi, plus petit, plus mobile. Un autre moi qui lui plairait. Elle pourrait aller à la rencontre de cet homme et l'emmener jusqu'à moi. Il aurait confiance en elle, car elle serait toute petite. Il n'aime pas les personnes trop grandes, je l'ai lu dans son cœur. Quelques mauvaises expériences avec une très grande créature qui aimait boire du sang de primates et qu'il appelait sa « sœur ».

La petite Moi, que j'ai baptisé Elizabeth, a parfaitement joué son rôle. Je l'ai envoyée dans l'auberge pour l'attendre et pour préparer le terrain, assouvissant tous ces bons à rien afin qu'ils la bouclent. Quand il est arrivé jusqu'à elle, elle a su dire tout ce qu'il fallait dire au bon moment. Usant de toutes les subtilités de son sens de la diplomatie, elle l'a convaincu de venir me rejoindre. Exactement comme je le voulais. A travers les yeux de mes enfants, j'ai assisté à leur escapade dans les bois. Dans MES bois. Ils sont tout près désormais. Je le sens très clairement et j'en tremble. Plus l'homme s'approche, plus je sens le pouvoir venir à moi. Je m'y sens attiré comme à une aimant. Une fois qu'il sera à ma merci, je n'aurai plus qu'à m'en emparer et je me délecterai de sa saveur. Et alors, le monde nouveau commencera.

La quête de Karl HeisenbergOù les histoires vivent. Découvrez maintenant