Wonderland Pirates. Le médaillon des océans.

Chapitre 6

L'aube se levait sur l'océan, teintant l'horizon d'une lumière pâle et froide. Dans la cabine principale du Heart Queen, la comtesse se tenait assise devant un grande table, pinçant les lèvres et parcourant avec concentration les différents documents devant elle, les doigts crispés sur la tige d'une plume. De temps à autre, elle griffonnait nerveusement un mot ou deux, reliait deux colonnes et barrait un chiffre. La porte s'ouvrit et Peter entra doucement dans la pièce avec un plateau qu'il déposa sur la table. Dessus se trouvait une tasse de thé fumante et des biscuits raffinés mais Vivaldi n'y porta même pas un regard, continuant à s'acquitter de sa tâche avec obstination.

- Madame.

Face à l'absence de réaction de la jeune femme, son second soupira et s'avança résolument à côté d'elle en tirant le plateau à sa rencontre. Son visage était grave mais ses yeux reflétaient la préoccupation qui l'étreignait pendant qu'il regardait son employeuse se perdre dans le travail. Au bout de quelques instants, il finit par intervenir avec douceur, non sans une certaine fermeté :

- Madame la Comtesse, vous êtes plongée dans ses documents depuis des heures, je ne saurais que trop vous conseiller de faire une pause. Buvez au moins une tasse de thé...

- Ce n'est pas bon...

- Madame ?

Vivaldi se redressa contre le dossier de son fauteuil en se massant le front, sourcils froncés, et poussa un profond soupir.

- Le temps nous fait défaut... Les calculs que nous avions effectué avant cette mésaventure stipulaient que nous serions de retour au pays dans trois jours. Nous avons perdu une journée avec l'attaque de Blood et le remplacement de la toile abîmée. Concernant les vivres qu'il nous reste...hé bien, en tenant compte du fait que nous avons naturellement prévu des quantités supplémentaires en cas de tempêtes, et en considérant... (Vivaldi retint une grimace) ...que l'absence de Louka nous permet d'épargner quotidiennement une ration, nous avons de quoi tenir encore treize à quinze jours, tout au plus, mais au-delà, tout sera épuisé.

- Madame la Comtesse...

- Quelle que soit la distance que nous allons parcourir et le temps que nous allons y passer, nous devons tenir compte du fait que nous devrons parcourir la même distance et passer le même temps au voyage de retour.

- Que préconisez-vous ? interrogea calmement le majordome.

- Nous n'avons pas le choix, Peter... Nous pouvons assurer encore sept à huit jours de recherches. Au-delà, les vivres tiendront le temps du retour au pays, guère plus.

- Je vois.

Peter hocha la tête, méditant les paroles de Vivaldi. Celle-ci soupira de nouveau en affichant une moue contrariée.

- Appelles Rose et Boris, nous devons les mettre au courant.

- Très bien.

***

- C'est pas vrai...

Rose se laissa tomber sur une chaise et Boris passa son bras autour de ses épaules.

- On va la retrouver, n'est-ce pas ? On va réussir à la retrouver...

- Nous allons tout faire pour, murmura Vivaldi avec douceur, mais je veux que tu sois consciente que nous allons manquer de temps pour faire des recherches approfondies... Tu comprends, n'est-ce pas ?

Rose hocha la tête en retenant ses larmes. Chaque heure qui passait l'inquiétait davantage sur le sort de son amie aux mains du pirate qui l'avait enlevée.

- Nous allons redoubler d'efforts, intervint Boris avec détermination. Vous connaissez ce pirate et ses méthodes, en procédant avec logique, nous pouvons réussir à raisonner comme lui et le retrouver, non ?

- Je veux le croire, répondit la comtesse en tapotant doucement son éventail sur la table. Mais ce genre de personne est incroyablement imprévisible, malheureusement. Il n'y a qu'à espérer qu'il nous aura sous-estimé et ne se donnera pas la peine de changer ses habitudes pour ça.

- Pardonnez-moi, Madame la Comtesse, mais je crains que ce ne soit le cas, déclara Peter qui avait jusque-là gardé le silence. Ce n'est pas – excusez-moi de le dire en ces termes – une vulgaire réserve de thé qu'il vous a pris, cette fois-ci. C'est une de vos demoiselles de compagnie. Une personne vivante, rattachée directement à vous, et à laquelle vous tenez. Il doit bien se douter que les conséquences ne seront pas les mêmes, ni pour vous, ni pour lui.

Vivaldi pinça les lèvres. Si décourageant qu'il fut, le raisonnement de Peter était on ne peut plus logique et sensé. Blood connaissait la valeur de ce qu'il avait dérobé et avait très certainement déjà adapté les mesures habituelles. Il allait inévitablement changer son plan de navigation et ses escales pour brouiller au maximum les pistes. Mais ils ne pouvaient perdre plus de temps.

- Tant pis, soupira-t-elle avec une grimace. Nous devons jouer le tout pour le tout, afin de ramener Louka auprès de nous le plus tôt possible.

- ...quelle est la première direction que vous souhaitez que nous prenions, Madame ? demanda Boris, le regard grave.

Vivaldi se tourna vers la table où les plans qu'elle avait dressé durant les dernières heures était étalés, couvertes de marques, d'écritures, avec un itinéraires approximatif tracé à l'encre rouge comme le sang.

- Nous allons commencer par là, murmura-t-elle en posant son doigt sur une parcelle maritime. Une de ses routes favorites, car remplies de petites îles où il peut se ravitailler en évitant les grands ports.

Boris et Peter hochèrent la tête de concert avant de quitter la cabine avec Rose pour rediriger le navire. Vivaldi resta seule, penchée sur les cartes et les instruments de navigation. Elle se fit l'amère réflexion que s'ils avaient été sur terre, les choses auraient été différentes. Se renseigner sur les déplacements de Blood aurait été aisé, d'une part, et d'autre part, Louka aurait eu à un moment ou à un autre une opportunité de fuir. Mais s'il y avait bien une chose que quiconque naviguant sur les mers savait, c'était la suivante : les océans ont beau être de vastes étendues ouvertes sur l'horizon, ils seront toujours, pour qui les connaît bien, la meilleure cachette qui soit pour échapper à bien des traques...mais aussi la plus grande prison qui puisse exister.