[15] Retour vers mon futur

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— Marco ?

Je relevai la tête distraitement, regardant un sourcil levé, la personne qui venait de m'interrompre. Un soleil vivant venait de m'arracher de mon imagination. Ce jour-là, le sourire de Yasmine aurait pu éblouir notre étoile. Elle souriait des lèvres, des yeux, des mots, de son corps tout entier, et même de ses pensées. Je ne l'avais jamais vue aussi heureuse.

— J'ai été prise !

Elle lâcha ces mots en riant, comme si ces quatre mots étaient le remède qu'il lui fallait pour trouver le bonheur, qu'ils étaient le mot de passe du soulagement, l'échelle pour passer au niveau supérieur.

Je la félicitai, gagné par son enthousiasme, et la laissai me conter une énième fois combien c'était une opportunité en or, que c'était une université renommée dans le monde entier, et que sa vie allait changer. Yasmine avait passé des examens d'entrée pour une école de ce pays là-bas, de l'autre côté de la mer. Les places étaient chères pour la traversée, mais avec sa volonté et ses compétences comme bouée, elle avait réussi sans accroc.

Elle n'avait pas simplement répondu à "Comment ? ", elle l'avait fait. Elle avait franchi le fossé qui pétrifiait tant de monde, elle avait sauté dans le vide, sans savoir si son parachute allait se déclencher, quand tant d'autres, moi compris, restaient au sol pour la regarder.

J'étais heureux pour elle, et très impressionné, mais j'étais aussi jaloux. Voilà plusieurs semaines que j'écrivais à l'abri des regards, vivant seul dans mon coin, dans mon monde, mon projet fou. Et pourtant... hors du papier, rien n'avait changé.

Sous la mine de mon crayon, je sentais le courage grandir en moi, ma timidité disparaître à une vitesse folle. Dans ce monde de mots, j'avais réussi à plaisanter, discuter, et à m'ouvrir à des gens que je ne connaissais pas. J'avais réussi à leur dire qui j'étais, ce que je faisais, et je leur avais montré mon travail. Moi qui avais du mal à discuter avec Yasmine, là-bas, nous ferions la conversation pour quatre !

Le cahier fermé, j'étais toujours Marcelin Coudert, élève sérieux et discipliné de ce lycée. Adolescent modèle, discret, introverti, respectueux de ses parents, des adultes. Solitaire, quand je n'étais pas harcelé par les mouettes ou quand Yasmine ne venait pas me faire un compte-rendu de ses journées. J'avais beau rêver, m'imaginer évolué, j'étais resté le même.

Même à l'intérieur de mon rêve, j'en avais marre de simplement jeter des bouts de papier. Je ne voulais plus me cacher derrière mon stylo, je ne voulais plus que ma voix ne soit que de simples traits d'encre, je voulais qu'elle soit propulsée par un micro, et que mes chansons se fassent enfin entendre, et non pas seulement voir.

Le problème avec les rêves, c'est que parfois, le réveil fait mal. Comme la fleur du lotus, ils nous créent une nouvelle dimension, et nous laissent aveuglés par le bonheur, par un monde sans souci, sans ennemi, sans remord. Ils font s'écouler le temps en décalé, et à peine se sent-on bien qu'il faut retourner à la réalité.

Cependant j'aimais toujours autant les rêves, j'étais toujours aussi fasciné et heureux de fermer les paupières, et j'étais resté persuadé que c'étaient eux, qui nous permettaient d'avancer.

— Tu m'écoutes ?

Yasmine claqua des doigts devant mon nez et me fit sortir de mes pensées. En voyant mon air penaud elle rit, et reporta son regard sur mon carnet.

— Qu'est-ce que tu fais d'aussi captivant ?

— Je rêve, répondis-je simplement.

Elle me sourit et descendit du mur. Après un geste de la main, elle s'éloigna gaiement. Même de dos, elle resplendissait de joie. Elle allait sûrement rejoindre Arsène en ville et lui annoncer la nouvelle.

RêveilléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant