Eaux troubles

Mois 1 / Semaine 1

Cela fait désormais une semaine que je me suis embarquée à bord de l'Athéna. Les journées filent lentement et je me familiarise peu à peu avec la vie sur l'eau. Les premiers jours, un insoupçonné mal de mer m'a pris et j'ai bien cru que j'allais rester sur la prochaine île quand le regard de Cléo a croisé le mien, juste après que j'ai déversé l'intégralité de mes intestins par-dessus bord. Finalement, nous sommes passés plusieurs fois non loin de morceaux de terre mais j'ai toujours les deux pieds ancrés dans les planches du navire. Et je compte bien les garder ainsi encore longtemps.

"L'assiette du capitaine est posée sur le plan d'envoi. Je te laisse lui porter, on est dimanche."

Je réalise alors que la semaine est passée bien trop vite. J'ai l'impression que c'était hier que je quittais les terres qui m'avaient vu grandir. La découverte d'un nouveau rythme de vie a accaparé la plupart de mon temps. La liste des repas ne m'a pas pris énormément de temps, la soupe, le ragoût et le poisson étant l'essentiel des repas prévu pour les mois à venir, agrémenter durant le week-end des quelques fruits embarqués.

"Nous ne le verrons pas ce soir ?

-Jamais le dimanche. Le capitaine reçoit d'abord le barreur pour s'assurer que la direction suivie est toujours la bonne. Ensuite, son second avec qui la discussion dure longtemps, s'appuyant sur l'entente de l'équipage et le bon état du navire. Le défilé se termine avec toi. Tu lui donneras la liste des repas, ce qui ne durera pas longtemps puisque c'est toujours le même projet. Et après, vous ferez un point sur les vivres. Bon courage."

Il me pose le plateau dans les mains et m'envoie vers les marches afin de me rendre vers le pont supérieur, puis le château arrière ou l'on retrouve la cabine du capitaine et, à sa droite, celle du second.

En traversant le restaurant, je remarque que seuls Cléo, Sacha et cet homme, dont je ne connais toujours pas le nom, manquent à l'appel. Mais, n'ayant qu'une seule assiette dans les mains, je déduis que les deux autres rejoindrons mon antre rapidement et que je serais sûrement seule avec le chef de ce navire.

En traversant le pont, je ne vois personne. La vie sur le navire coupe l'équipage en deux. Une première moitié vit le jour tandis que l'autre s'occupe de tout la nuit. La rotation s'effectue le dimanche, expliquant pourquoi il s'agit pour moi des repas les plus importants. Chacun partage donc leur hamac avec un de leur semblable et, en tant que cuisinière, je suis la seule avec Tony à y échapper. Nous avons tous deux une couchette installée à l'arrière de la cuisine, nous offrant le confort de ne pas être dérangés lors du roulement. Ce qui n'est pas très réaliste quand on sait le bruit que produit tout un équipage en mouvement. Sans parler de mon mal de mer.

"J'espère pour toi que le repas sera excellent. J'ai une faim atroce et les réunions, même courtes, sont toujours bien trop longues pour moi."

Sacha m'adresse un grand sourire tandis que moi, de mon côté, je suis totalement gênée. Pas que je ne sache pas cuisiner mais, sur le navire, je suis bien plus restreinte que ce dont j'ai l'habitude. Bien qu'elle se soit toujours montrée gentille avec moi,  je l'ai déjà vu rabaisser un marin dont le seul crime avait été de manger un fruit de trop. Je sais que les réserves doivent être surveillées avec soin mais, à ce point, j'en suis presque effarée.

Elle rejoint rapidement et gracieusement le restaurant, sans pour autant courir. Sur ce navire, j'ai vite réalisé que le fait de cavaler était mal vu. Soit il s'agit de quelqu'un fuyant, principalement par culpabilité et, dans ce cas, seule la planche l'attendra, son crime étant souvent bien trop horrible. Le deuxième exception a lieu lorsqu'un danger menace l'embarcation et qu'il faut se dépêcher de sécuriser le navire.

Si Sacha est la première à partir, je me demande comment elle peut être le barreur de ce bateau sachant que je ne l'ai jamais vu s'approcher du gouvernail, excepté pour embrasser l'homme au cheveux noirs qui s'y tient. Elle doit donc être le second.