Chapitre 5 : "Demain est une autre nuit"Tout le monde l'appelait Tom, mais son véritable prénom, c'était Tomas. Depuis l'enfance, il a toujours détesté son prénom, néanmoins il paraissait si spécial à mes yeux. Tellement spécial qu'à maintes reprises, je ne pouvais m'empêcher de le prononcer à voix haute.
Il m'a raconté que son père avait choisi son prénom, en m'avouant aussi qu'il aurait préféré porter celui que sa mère avait imaginé car son père n'était même pas présent à sa naissance et qu'il n'a pas eu l'occasion de le prendre dans ses bras. Elle avait choisi le prénom Aiden et après l'avoir su, je ne pouvais imaginer un autre prénom qui pouvait lui appartenir.
Malgré tout Thomas était un prénom commun, mais le sien s'orthographiait sans le "h". Je trouvais ça craquant parce que même si c'était un prénom anodin, ce contraste le rendait différent des autres. Et même si Tom ne l'aimait pas parce que son père n'a jamais été présent pour lui, il ne pouvait pas fuir son passé, son prénom c'était son identité quelque part. On ne choisit pas son prénom comme on ne choisit pas sa famille, mais les deux sont décisifs pour le cours de notre vie.
Ça m'arrivait d'écrire son prénom en continu sans m'arrêter, je remplissais des pages entières sans même m'en appercevoir. Mon critérium se mettait à danser sur le papier, il traversait la feuille tout comme Tom avait traversé chaque pensée qui habitait mon esprit. L'entendre prononcer mon prénom c'était comme un électrochoc, quand il m'appelait, il me fallait bien deux minutes pour revenir à la réalité. Les papillons dans mon ventre tournoyaient, je ne pouvais pas empêcher mes lèvres de s'élargir quand mes yeux venaient se confronter aux siens. Je cherchais toujours son regard, priant pour que même dans une foule il puisse me remarquer. Je voulais sortir du lot et briller un peu plus fort que tous les autres. Tomas me procurait des sensations que je n'avais jamais connues auparavant, si j'en suis là aujourd'hui, c'est tout simplement grâce à lui.
C'est moi qui ai commencé à l'appeler Tom parce qu'il disait sans cesse que Tomas c'était trop lent. Il avait cet état d'esprit, ne passait pas par quatre chemins et allait toujours à l'essentiel. Il était vif d'esprit et semblait saisir ce qu'on lui demandait à la première entente. Je lui ai souvent reproché de vouloir aller trop vite car il ne voyait pas le potentiel qui était caché derrière chaque situation. J'avais cette manie de tout analyser dans les moindres détails avant d'agir parce que j'étais terrifiée par le changement. J'avais besoin d'établir une liste de choses à faire avant de trouver le courage de m'y confronter, c'était un moyen pour moi de ralentir le moment où je ne pourrais plus reculer en arrière. Je me confortais misérablement dans mon quotidien effrayant puisque contrairement à l'installation d'une routine dans une vie, ce qui me faisait encore plus perdre la tête, c'était l'impulsivité.
Tom était imprévisible, nous qui étions pourtant si opposés, il avait réussi à s'immiscer dans ma bulle. C'était le seul endroit où je ne laissais personne entrer, et pourtant il était la seule personne qui ait réussi à s'en approcher. Il était ce que je cherchais le plus à fuir et qui, inconsciemment, m'attirait tel un aimant. Nous avons besoin des autres parce qu'ils sont différents de nous, ont des points de vue opposés et une vision distincte. Je ne pouvais pas changer la nature de Tom ni même ses mauvais côtés car après tout, si on aime quelqu'un ce n'est pas pour le modeler dans une facette qui nous correspond le mieux. Si Tom était comme moi, je n'aurais pas besoin de l'aimer car je me suffirais à moi-même.
Toute mon adolescence, j'ai fui les gens qui m'entouraient comme ils m'ont fuie autrefois car j'avais peur de nouer des liens si forts qui pourraient s'effilocher aux moindres obstacles. Aimer une personne, c'est prendre le risque de la perdre. En grandissant, je me suis rendue compte que cette manière de penser agissait comme un bouclier sur moi, mais si je m'interdisais d'aimer je ne pouvais pas comprendre la joie que ces sentiments éprouvaient. Je pense que la chose qui m'effrayait le plus, c'était de devoir par la suite assumer ces relations. Je ne me considérais pas assez captivante pour que des gens daignent prendre la peine de s'intéresser à moi et d'apprendre petit à petit à me connaître, je m'imaginais à leur place en concluant à quel point il n'y avait aucun intérêt de fréquenter une personne comme moi.
J'avais peur qu'on puisse déceler toutes mes faiblesses au premier coup d'œil, peur que sur mon front soit inscrit toutes les insécurités que j'ai portées en fardeau durant mon enfance, que j'ai traînées sur le sol à ne plus savoir quoi en faire. Ces insécurités que j'ai tenté de cacher durant seize ans. J'étais tout simplement terrorisée à l'idée qu'on puisse deviner les traumatismes ancrés en moi, incrustés dans ma chair jusqu'à dans mes os. Ceux qui ont eu des répercussions sur ma manière de faire et de percevoir les choses, mais aussi de me mêler aux autres.
Je détestais la façon qu'Alix avait de parler. Alix s'est mise à parler comme Isaac quand elle l'a rencontré, qui, comme moi sans m'en apercevoir, m'étais mise à adopter les comportements et tics de langage de mon meilleur ami. Je ne pouvais pas lui en vouloir, au fond j'étais comme elle, l'amour change les personnes qui le portent en elles.
C'est en partie quand on est amoureux, qu'on devient tout de suite plus radieux et lumineux. Et c'est seulement bien plus tard que j'ai compris l'importance de l'amour et de la raison pour laquelle les gens se mettent en couple. Au fond de moi, je pense qu'il n'y a rien de plus terrible que la solitude. Il est difficile de concevoir qu'on puisse mourir seuls, alors nous cherchons en vain une présence apaisante pour continuer à vivre tout au long de notre vie. Dans la mentalité de notre époque, c'est toujours mieux de vieillir avec une personne que l'on aime. L'amour est comme un feu, si on ne le nourrit pas la flamme finit par s'éteindre, et pour qu'il puisse continuer de brûler, la flamme doit être ravivée.
Je n'ai jamais ressenti le besoin de me mettre en couple, contrairement aux adolescents de mon âge qui s'amourachaient du premier venu, je semblais désintéressée par n'importe quelle présence qui semblait porter un intérêt envers moi. J'ai passé mon adolescence en étant rejetée par les seuls amis en qui j'avais donné aveuglément toute ma confiance. Je pense qu'une rupture apporte forcément par la suite un changement, qu'il soit positif ou négatif, nous reprenons tout à zéro. Une rupture nous conforte dans l'idée que tout ne se passe jamais comme prévu, tel qu'on se l'est imaginé. La vie n'est pas un jeu facile que nous réussissons du premier coup sans même réfléchir à des stratégies et aux façons d'aborder chaque problème. Quand on meurt on ne réapparaît pas au point de téléportation du début, je souhaiterais simplement appuyer sur le bouton de ma manette qui me permettrait de recommencer à nouveau en effaçant les erreurs commises. Tom n'est plus là et je ne pourrai pas le ramener à la vie.
En m'éclipsant du lycée, je prends continuellement ce même chemin. Je traverse cette ruelle étroite, encrassée par la pollution, qui mène vers un raccourci boueux qu'on avait l'habitude de parcourir. Arrivée au centre-ville, devant les boutiques de vêtements, je passe de longues minutes à observer la devanture du magasin. Des souvenirs me reviennent en mémoire lorsque mes yeux se posent sur les mannequins. Je me visualise à l'intérieur, me rappelant que tu choisissais en permanence toutes les tenues que je devais essayer. Après une bonne heure, je finissais toujours par empiler un tas de vêtements sur mon bras.
En y pensant, tu avais un goût prononcé pour la mode. Cette pensée s'est confirmée quand je suis tombée sur le carnet de croquis que tu cachais secrètement dans ta chambre. Tu doutais de tes capacités, mais tu avais un talent certain pour le dessin. Tu dessinais tout ce qui te venait à l'esprit, mais tu ne montrais jamais tes créations à ton entourage de peur d'être critiqué ou même valorisé. Si j'ai bien compris quelque chose, c'est que tu détestais être au centre de l'attention, et pourtant aujourd'hui on ne parle plus que de toi.
Peu de jours après ta mort, ta mère m'a demandé d'entrer dans ta chambre parce qu'elle était incapable de dépasser le palier de la porte. Elle a tout laissé au centimètre près, elle n'a pas su trouver le courage de remettre la pièce en ordre. Elle n'en parle pas, mais nous savons tous à quel point ton départ l'a chamboulée. Quand on devient mère, on ne s'imagine pas un seul instant que son enfant parte avant nous.
Je suis restée immobile, le cœur tremblant, lorsque j'ai jeté un ultime coup d'œil à la dernière page de ton calepin. Un portrait de moi esquissé détaillait chaque recoin de mon visage, mes sourcils bien dessinés, mes yeux en amande couleur noisette et ma mâchoire marquée qui me complexait. C'est cette vivacité d'esprit et ce côté observateur que j'admirais chez toi, tu ne laissais rien au hasard. Tes proches te reprochaient souvent ton hyperactivité, mais tes idées fusaient tellement rapidement qu'il te fallait réagir au quart de tour pour ne pas laisser échapper chaque pensée qui avait traversé ton esprit.
Le casque sur mes oreilles, j'écoute la musique qu'on avait l'habitude d'écouter ensemble, et je refais le monde à ma manière. Je presse le pas lorsque je traverse la rue qui t'amenait chez toi. Le cœur avide, un sentiment de mélancolie m'habite. Demain est une autre nuit.
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Laisse tomber la pluie
Teen FictionLéa, une adolescente de 16 ans en proie au doute, dérive sans but dans sa vie. Après la perte déchirante de son meilleur ami, son monde s'écroule. Dans cette épreuve, Léa se débat pour redonner un sens à son existence. Perdue dans son chagrin, elle...