Les haricots magiques

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Conte populaire anglais, commandé par AyaLaurent

I - Un voleur dans la nuit

Il était une fois, dans le royaume de Rabel, un prince qui courait pour sa vie. Vêtu de noir, un foulard noué autour du visage pour ne pas être reconnu, il filait à toutes jambes dans les rues de la capitale plongée dans la nuit, essayant de semer les gardes du palais lancés à sa poursuite. Au fond de sa poche, bien protégé dans une petite bourse de cuir, se cachait l'objet qu'il venait de voler dans le tombeau de son aïeul. Et la raison pour laquelle son frère avait lancé toute la garde à sa poursuite.

Alors qu'il se faufilait de ruelle en ruelle, le prince Urien priait pour que jamais son frère ne découvre que c'était lui le voleur. Mais pour cela, il devait faire disparaître son butin très, très vite, de sorte à pouvoir retourner au château et faire semblant de n'avoir jamais quitté sa chambre. Son cœur battait si fort qu'il n'entendait presque plus le son des sabots et des chaussures ferrées sur les pavés, et il s'arrêta brutalement avant de déboucher sur une rue au moment où passait la garde. Changeant de direction, il avisa une taverne ouverte juste à côté et se hâta de retirer son foulard pour le nouer dans ses cheveux puis de retourner sa veste pour la porter du côté coloré avant d'entrer d'un air assuré.

Un seul coup d'œil lui permit de repérer ce qu'il cherchait et il se dirigea gracieusement parmi les tables encombrées pour se laisser tomber auprès d'un homme jeune à l'air fatigué et incertain. De l'autre côté de la table, une femme à qui il manquait une dent lui jeta un regard rusé tout en ramassant un paquet de cartes bien usé.

— Vous tombez bien, remarqua-t-elle en les mélangeant. Il nous manquait un partenaire pour cette partie.

— C'est ce qu'il me semblait, répondit-il avec son plus beau sourire. Quelles sont les mises ?

Parce qu'il avait fréquenté presque autant de tavernes que de conseils royaux, le prince savait reconnaître les gens malhonnêtes et leurs combines pour arnaquer les innocents. Le jeune homme à sa droite avait l'air trop candide pour réaliser qu'il était sur le point de se faire plumer, et il avait quant à lui besoin de se fondre dans le décor.

— Dix écus, annonça la femme avant de placer la petite pile de pièces au centre de la table.

— Je n'ai qu'une vache, murmura l'homme. C'est tout ce qu'il me reste.

S'il remportait la partie, il obtiendrait cinq fois le prix de sa vache, mais Urien était prêt à parier que tout ce que la femme allait lui laisser serait la volonté de ne plus jamais jouer aux cartes de sa vie. Sauf s'il s'en mêlait. Et le ciel savait combien il avait besoin d'une distraction, là tout de suite, pour ne pas penser aux gardes qui le cherchaient activement et à ce qui l'attendait quand il reviendrait au palais. Voler au secours d'un inconnu charmant et désespéré dans une taverne était tout ce qu'il lui fallait en cet instant. Alors il fit signe à un garçon de lui apporter à boire, avant de placer sa bourse à côté des pièces d'or.

— Je mise ça, sourit-il avec assurance. Des haricots d'émeraude.

Quand bien même il les perdait, l'important était que son frère ne mette jamais la main dessus. Et l'avantage de les présenter comme des pierres précieuses c'était que personne n'aurait l'idée saugrenue de les planter comme de vrais haricots. Même s'ils ressemblaient terriblement à de vrais haricots. Heureusement, personne ne vérifia ses dires et la femme commença à distribuer les cartes avec aisance. Sa chope de bière à la main, Urien se rencogna dans son siège pour observer ses deux adversaires. Il savait que la femme allait tricher mais il était à peu près sûr de pouvoir le faire aussi bien qu'elle. Et ce serait un véritable plaisir après cette soirée éprouvante que de permettre au jeune homme de ne pas se faire plumer. Encore mieux, s'il le laissait remporter les haricots, ceux-ci quitteraient la ville dans les poches d'un paysan que la garde ne soupçonnerait jamais. Urien gagnerait sur toute la ligne.

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