Chapitre 1 - Champ de maïs

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Gaïus avait dix ans. Il aimait les barbes à papa et les milkshakes à la vanille. Ça tombait bien parce qu'on vendait les deux dans le stand à l'entrée de la foire paysanne où il se trouvait avec ses parents et son petit frère. C'était le début de l'été, alors la petite famille avait eu envie de profiter du beau temps en venant flâner entre les étals débordants de produits fermiers. Il y avait aussi des animaux en tout genre qui se laissaient parfois approcher et caresser par-dessus la barrière de leur enclos, des vaches, des cochons, des moutons, ...

Mais ce qui intéressait le plus Gaïus depuis qu'il avait découvert le prospectus de la foire dans sa boîte aux lettres, c'était la promesse d'un labyrinthe grandeur nature tracé dans un champ de maïs ! Le garçon vouait une véritable passion aux labyrinthes de tout type depuis sa plus tendre enfance. Les labyrinthes au dos des boîtes de céréales, ceux qu'il dénichait entre les pages ennuyeuses des journaux, ceux que son père griffonnait à la va-vite sur le coin d'une serviette en papier pour l'occuper au restaurant, et ceux qu'il fabriquait avec des centaines de pièces de Lego en essayant de se piéger lui-même. Mais Gaïus n'avait encore jamais eu l'occasion d'arpenter les allées d'un véritable labyrinthe à taille humaine. Il trépignait d'impatience à l'idée de se lancer à l'aventure, se trouver perdu au beau milieu d'un labyrinthe ce n'était quand même pas la même chose que l'observer tranquillement du dessus.

Le garçon se hissa sur la pointe des pieds pour essayer de mieux voir entre les passants, il se tortilla un peu à droite, à gauche, et puis il l'aperçut enfin : la grande arche en maïs tressé qui marquait l'entrée du labyrinthe. Son cœur s'accéléra.

- Gaïus, tu veux une barbe à papa ? demanda alors sa maman.

- Quoi ? Euh non, pas maintenant, répondit l'enfant sans quitter le labyrinthe des yeux. D'abord il faut trouver la sortie du labyrinthe, je suis sûr que je vais y arriver avant vous !

Et Gaïus se mit à courir, haletant, vers l'entrée du piège vert. Il passa sous l'arche de maïs et longea l'allée principale en ralentissant petit à petit, émerveillé par la hauteur des épis autour de lui. Il avait d'ailleurs du mal à distinguer le sommet des murs végétaux, ébloui qu'il était par le soleil à son zénith. La tête en l'air et tournant sur lui-même, il ne remarqua pas tout de suite la vieille dame qui passait derrière lui. Il la bouscula un peu par accident, ce qui le tira de sa rêverie. Il s'excusa timidement puis recommença à courir, fonçant dans les allées sinueuses. A droite, à gauche, gauche encore, oups une impasse, demi-tour ! Gaïus s'amusait comme un fou, il riait en prenant des virages à toute allure et ne remarquait même pas les quelques égratignures sur ses bras quand il rasait les murs géants d'un peu trop près.

Après un long moment, il finit tout de même par ralentir le pas, essoufflé et un peu plus fatigué. Il commençait à se dire qu'il aurait mieux fait de retenir par quels chemins il était passé plutôt que de foncer tête baissée sans réfléchir, mais il était tellement excité au début de son parcours qu'il avait juste eu envie de zigzaguer joyeusement dans les allées jusqu'à s'en étourdir. C'était tellement agréable de déambuler entre les chemins, de sentir les odeurs du champ, la terre sous ses pas, et puis c'était si calme. Cela faisait d'ailleurs un petit moment que Gaïus n'avait croisé personne, il se demandait où étaient ses parents et son frère et s'ils étaient aussi perdus que lui. Il songea alors qu'il était impensable qu'ils trouvent la sortie avant lui, il était temps qu'il se ressaisisse et qu'il devienne un peu sérieux s'il voulait être le premier arrivé.

Le garçon tendit le bras très haut pour attraper un épi de maïs, il allait semer des grains jaunes derrière lui pour éviter de repasser plusieurs fois sur les mêmes trajets. Il était très fier de son idée, ça fonctionnerait très bien, à moins qu'une poule gourmande décide de le suivre, ce qui avait quand même très peu de chances d'arriver. Il commença donc sa progression, plus concentré cette fois, et sema quelques grains de maïs au fur et à mesure. Après plusieurs virages, il n'était pas retombé sur ses traces, il avançait sûrement dans la bonne direction. Confiant, il laissa tomber son épi vide sur le sol, il était temps d'en entamer un nouveau.

Gaïus leva les yeux autour de lui, à l'affût d'un nouvel épi de maïs à égrener, mais il n'en vit aucun. Etrange. Il s'approcha plus près de la paroi végétale et remarqua de longues lianes de lierre entremêlées dans les tiges du champ. Tout en continuant à avancer, il observait ce lierre devenir de plus en plus envahissant, et de plus en plus haut. Quelques fleurs blanches de liseron, une autre mauvaise herbe envahissante, s'ajoutèrent bientôt au tissage épais du lierre. Mais que se passait-il ici ? C'était comme si cette partie du champ avait été abandonnée par l'agriculteur et retournait peu à peu à la vie sauvage. Peut-être Gaïus s'était-il aventuré trop loin, cette zone ne devait pas faire partie du jeu.

Le garçon se retourna, décidé à revenir sur ses pas, mais il trouva une allée encore plus sombre derrière lui. Les murs du labyrinthe grimpaient à présent si haut qu'on ne voyait plus qu'une toute petite partie du ciel. Gaïus s'inquiétait vraiment maintenant. Il recommença à courir tout en appelant ses parents, personne ne lui répondit. Bientôt les murs du labyrinthe furent remplacés par d'immenses troncs d'arbre dont les hauts branchages dissimulaient totalement la lumière du soleil. Il faisait sombre, et frais, et d'inquiétants bruits d'animaux emplissaient l'atmosphère.

Gaïus courait toujours, effrayé et essoufflé, il glissa sur une plaque de mousse au sol, se releva en regardant nerveusement autour de lui, et repartit de plus bel lorsque tout à coup il se retrouva nez à nez avec un imposant rocher. Il était arrivé au pied d'une espèce de colline recouverte de pierres, une impasse, et la nuit commençait à tomber beaucoup plus vite qu'un soir normal. Gaïus ne savait plus quoi faire. Il avait peur de s'égarer encore plus loin s'il retournait dans la forêt, ou de se faire attaquer par un animal sauvage. En plus, au rythme où l'environnement s'assombrissait, il allait faire nuit noire dans très peu de temps. Peut-être qu'il était temps d'appliquer le conseil que sa maman lui avait donné un jour. Elle lui avait dit que s'il se perdait, il valait mieux rester calmement là où il était en attendant qu'on le retrouve. Avec la nuit qui tombait, ses parents allaient forcément comprendre qu'il y avait un problème et ils allaient se mettre à sa recherche aussitôt. Rassuré de savoir que sa famille était très certainement en train de le rechercher en ce moment même, il décida de se mettre à l'abri en attendant qu'ils arrivent. Il grimpa sur un rocher et alla se blottir dans un creux entre plusieurs pierres. Ici il ne craignait pas trop les animaux nocturnes qui commençaient déjà à arpenter la forêt. Malgré sa peur, il était tellement épuisé par sa course dans les champs qu'il finit par s'endormir dans sa minuscule grotte...


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Labyrinthes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant