Let Somebody Go T.1

02.

𝐞𝐯𝐚𝐧𝐞

Passant entre les murs et les portes, le bruit des touches du clavier de l'ordinateur de ma mère me fait sourire. Des heures durant, elle compose toutes sortes de romans et crées de nouveaux personnages à longueur de journée. Quand elle se plonge pleinement dans son roman, nous pouvons être sûrs de ne pas la voir pendant quelques jours. Elle sort de son bureau seulement pour manger, aller aux toilettes ou sortir le chien quand je ne peux pas. Il doit bien y avoir longtemps qu'elle n'a pas réellement fait une vraie nuit de sommeil.

En faisant sa description, j'ai l'impression de me décrire, moi dans mes moments d'inspirations qui risquent d'expirer plus vite que je ne peux le prévoir. À mon âge, elle avait déjà cinq romans à son palmarès. En parallèle, mes deux seuls romans font tache. Être la fille de Julia Rehbert n'est pas de tout repos. Il faut écrire, lire et être son portrait craché. Colin n'a pas ce problème-là, car il n'a jamais vraiment aimé la littérature. Au moment où je me suis plongée dans mon premier livre et dans les premiers mots de mon histoire, j'ai su que personne ne m'épargnerait quoi que ce soit. Cette vie-là me convient pourtant, inconsciemment.

Alors pour ne pas faire la même chose qu'elle, je m'empare de mon téléphone et compose le numéro de Kelly. Comme tous les jours, nous nous retrouvons quelque part pour passer du temps ensemble, le plus souvent accompagnées de Célian, Abigaïl et Loyan. C'est notre petit rituel depuis que l'on se connait. Ce laps de temps me permet de me reconcentrer sur mes amis et moi-même.

Au bout de trois sonneries, ma meilleure amie me répond, le bruit des vagues et des gamins qui crient en fond. J'y devine les voix aigues de ses petites sœurs et celle grave de son plus grand frère. Pour leur famille, passer du temps ensemble est le plus important, à l'opposé de la mienne qui s'effrite de jour en jour sans que quiconque ne prenne la décision d'arranger les choses. De mon côté, au lieu de leur parler, j'écris sur ce qui ne va pas. C'est la seule solution que j'ai pu trouver, en dépit de nos nombreuses réunions qui n'ont mené à rien.

Mon père, maire de la ville mais aussi directeur de la capitainerie d'Hossegor a toujours été strict envers moi, beaucoup plus qu'envers Colin. Sans que je ne le sache vraiment, à vrai dire. Et ma mère est la seule vraie présence qui compte pour moi autre que celle de mes amis et de mon grand frère. Je me console le plus souvent en faisant du surf ou en lisant. Bien que cette situation ne plaise pas à grand nombre de personne, pour ma part, elle ne m'a jamais gênée.

C'est le rire de Kelly qui me coupe dans mes pensées.

—        Tu m'écoutes, Evane ? se moque-t-elle.

Je l'imagine en train de remettre une de ses mèches bouclée derrière son oreille, la tête en arrière et le sourire jusqu'aux oreilles. La peau métisse autour de ses yeux noisettes doit se plisser signe qu'elle est heureuse même si ça ne va pas réellement bien. C'est comme ça qu'elle est Kelly, toujours avec le sourire et le rire communicatif. Toujours à faire des blagues et à parler. Parce que si les gens ne rient pas ou ne débâtent pas sur des sujets toujours plus spéciaux les uns que les autres, cela veut dire qu'ils ne sont pas faits pour ce monde. D'après elle, les gens les plus inconscients sont ceux qui devraient vivre le plus longtemps.

Cette explication m'a toujours parue tirée par les cheveux, mais si c'est ce qui lui convient, ça me convient aussi.

—        Désolée, je n'étais pas concentrée. Tu me disais quoi ?

—        C'est toi qui m'as appelée, je te demandai juste la raison. Tu es sûre que ça va ?

Non ça ne va pas, mais tu le sais déjà. Normalement, je lui répondrai ça, mais pas aujourd'hui. Car ce jour, qui n'a rien de bien particulier pour être honnête, doit me permettre de moins penser à ce qu'il s'est passé. « Le passé doit rester dans le passé pour que mon présent ne soit pas envahi. » Cette phrase pourtant si banale me suit depuis plus de quatre ans maintenant.