Let Somebody Go T.1

13.

𝐦𝐚𝐫𝐢𝐧

Cela doit faire cinq minutes que je reste planté au milieu de ce chantier.

Ce matin, je me suis dit qu'il était une bonne idée de venir voir où en étaient les réparations de notre bateau. Alors, me voilà. Étrangement, il me manque. Ne plus pouvoir naviguer me fait éprouver une sensation bizarre. Jamais je ne me serais dit que je m'attacherais autant à un bateau, à notre ANTINEA. Surtout en sachant la signification qu'il a. Cette dernière devrait même être une raison de plus à ma haine, mais non.

Je n'y arrive pas. Aujourd'hui comme tous les autres jours.

Il n'y a que le sourire de ma mère, son rire quand il réussissait à la faire rire. Il a aussi celui de mon frère, quand il le faisait monter sur ses épaules et qu'on l'entendait lui crier qu'il était le meilleur papa du monde. Il était un temps où, oui, je l'avoue, il l'était. Puis cette image parfaite qu'il nous avait depuis tant d'années données est devenue un peu plus noire, les rideaux qu'il avait placés sont devenus moins occultants et tout a été montré aux yeux du monde. Les nôtres sont ceux qui ne s'y attendaient le moins. Pourtant, ils ont été les premiers à le voir.

Les grimaces qu'ils faisaient ne peuvent plus se transformer en sourires. Tout comme les questions que nous pose Néo n'auront jamais de réponse. Il veut savoir qui est réellement son papa, celui qui l'a élevé et lui a donné la meilleure image possible. Ce même papa qu'il m'a, à de nombreuses fois, entendu insulter. En réalité, je ne sais moi-même pas pourquoi je le fais. Certainement que je cherche seulement à lui en vouloir.

Lui en vouloir pour ce qu'il a laissé derrière lui. Ce n'était pas juste une femme et deux enfants, mais une vie qu'il avait construireo de toutes parts. À notre mère, il lui avait tout promis. Il lui avait promis le monde, un beau monde. Il lui avait promis que tout irait bien. Tous les hommes sont des menteurs, et j'en fait partie. Fièrement.

Le mensonge, quand il devient une arme de survie, est la plus belle chose que l'Homme a pu créer. On se réfugie derrière des excuses, des histoires inventées sur le coup. Et ces mêmes histoires, bien que pour nous folles, ne le sont pas pour les autres. Ils nous croient, ils pensent que cette vérité que nous essayons de faire passer pour vraie, l'est totalement.

Le plus gros mensonge est de croire aux mensonges.

Mais la vérité peut être bien plus mensongère que les mensonges eux-mêmes. Elle sert quand nous ne voulons pas trop en dévoiler, quand le seul moyen de défense et de l'utiliser, sans vraiment en avoir envie. On la dévoile petit à petit, jusqu'à ce que cette vérité qu'on voulait garder pour nous devienne celle de tous ceux à qui on la cachait.

C'est ceci qui leur fait le plus mal, aux menteurs. Car en essayant de se cacher, on se dévoile encore plus.

Mais nous sommes tous des menteurs. Que nous le voulions ou pas. Nous le sommes tous.

Et puis parfois, les menteurs sont ceux qui nous traitent de menteurs. Ces mêmes personnes qui avant nous faisaient jurer que nous n'en étions pas, en ayant comme but de détourner notre attention.

Les yeux ouverts, ils nous servent à traquer. À laisser partir les autres ou à leur donner l'occasion de venir.

De cette manière, j'ouvre un peu plus grand les miens, à la recherche d'un ouvrier qui aurait la gentillesse de me donner les informations que je souhaite recevoir. Je fais un tour sur moi-même, manque de me faire tomber et puis quand j'en aperçois un, je ne perds pas de temps et lui fonce presque dessus.

J'arrive devant lui en manquant une nouvelle fois de m'étaler par terre et par la même occasion de lui rentrer dedans. De ses yeux que je devine verts, tout comme ceux d'Evane, il me juge. Pas plus grand que moi, j'essaie de faire en sorte de ne pas me faire écraser. Si je veux me montrer comme l'homme que mon père m'avait enseigné, je dois me tenir droit, avoir le regard vif mais pas trop. Un regard qui parle de lui-même, avant même qu'un seul mot puisse sortir de ma bouche. Un regard qui invite à la discussion, ou contrairement, qui demande de l'éviter.