Lettre 3

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24 Décembre 1871
dans la prison perdue au milieu de la mer

Nous sommes la veille de Noël. Dans quelques heures, le petit Jésus naîtra. Le Sauveur viendra au monde.
Il est appelé « Sauveur », mais ne sauvera personne demain. Pas moi dans tous les cas.
Reprenons plutôt là où j'ai arrêté mon récit dans la dernière lettre.

Plus les jours passaient, plus Zéphyrine sombrait. Mais je ne remarquais rien.
Puis vint le temps du service militaire, ce passage obligatoire dans la vie d'un jeune homme. Je ne voulais pas y aller et devoir laisser ma sur aînée seule à la maison. Même si je ne me souciais jamais de ce qu'elle pouvait bien faire.
Pourtant, la perspective de l'abandonner totalement, sans famille ni soutien, me préoccupait tout de même. Mais j'y étais forcé. Après de multiples embrassades, de longs au revoir déchirants, malgré le fait que nous ne communiquions plus ensemble, je lui dis que je l'aimais, qu'elle était la seule famille qui me restait et que je tenais à elle plus qu'à tout au monde. Je partis, jetant un dernier regard à Zéphyrine que je laissais derrière moi et lui criant un ultime « Je t'aime » par-dessus l'épaule, je partis pour, sûrement, ne jamais revenir.

Plusieurs mois s'écoulèrent. Nous dûmes aller à la guerre. Pendant ces quelques mois passés, nous nous étions préparés à ça. Entraînés comme des animaux, nous allions enfin rejoindre les combats. Peu d'entre nous résisteraient à la violence des attaques. La guerre s'était engagée peu de temps auparavant et Napoléon III quémandait des renforts venus de toute la France. Nous étions en mauvaise position. Les Prussiens étaient à Sedan et gagnaient du terrain.
La bataille faisait rage lorsque nous la rejoignîmes enfin, après plusieurs jours de marche intensive.
Je dirais aujourd'hui, avec beaucoup de recul, que j'étais un très mauvais soldat. Je n'obéissais presque jamais aux ordres qui venaient des supérieurs, n'acceptant pas que d'autres puissent me commander. Ce problème finit par prendre le dessus sur moi.
Nous étions sur le front, la nuit tombait et la bataille avait cessé depuis quelque temps. L'heure où le courrier de nos proches était distribué arriva. Lorsque j'entendis mon nom sortir de la bouche du soldat chargé de cette tâche, je fus paralysé de stupeur. Jamais personne ne m'avait écrit depuis que j'étais parti. Pas même ma sur Zéphyrine.
Je m'avançai vers l'homme et pris la lettre entre mes mains tremblantes. Mais je fus incapable de l'ouvrir. Sur l'enveloppe était inscrit mon nom mais également, en tout petits caractères, ce qui me laissa mutique, le nom du cimetière de mon village.
Avant même d'ouvrir cette lettre, j'avais deviné ce qui s'y trouvait écrit. Ma sœur, mon amour de sœur, ma Zéphyrine adorée, s'était envolée à jamais. Jamais plus je ne la reverrais. Elle était morte.

Je ne pus m'empêcher de crier toute la haine qui s'empara de moi à ce moment précis. Je hurlai toute la rage que je ressentais au plus profond de mon être ! Mais cela ne suffit pas, il fallait que je trouve une autre solution pour extérioriser mon malheur.
Et quand je la trouvai, je sus que ce n'était pas la meilleure décision et de loin, mais à ce moment-là, je n'en eus rien à faire.
Je quittai le camp où nous nous trouvions. D'un pas décidé, je m'en allai loin de toute cette pagaille, enveloppe à la main, fusil au bras.
Je désertai cette guerre qui faisait souffrir l'intégralité des soldats engagés dans cet Enfer. Je commis un crime qui pouvait être jugé jusqu'à la peine de mort.
Ce fut la décision la plus terrible, mais celle qui me semblait le mieux convenir dans ces circonstances de ma vie.
Je courus jusqu'à en perdre haleine et finis par trouver un bar miteux dans lequel m'installer pour la nuit. Je m'assis à une table bancale, commandai un verre de Rhum et ouvris enfin la lettre.

« Nous avons le regret de vous informer que, Mademoiselle Zéphyrine MARQUIZEAUD est décédée le ..... 1870. Une enquête est en cours, elle est morte suite à plusieurs coups de couteau dans le thorax. »

Ce furent les seule phrases que je pus lire. Mes larmes commencèrent à couler. Les mots finirent par se brouiller.
Plus rien d'autre n'avait d'importance.
Ma Zéphyrine était morte.
Le Diable en personne avait eu raison d'elle.

LE DIABLE EN PERSONNE AVAIT ASSASSINÉ MA SOEUR !

Un pitoyable soldat

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