Chapitre 5

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Jude

Son appartement ne ressemble à rien de ce que l'on pouvait s'attendre à découvrir après avoir quitté la demeure infatuée parentale. M. et Mme Mikkelsen vivent dans les quartiers agréables de Brookline. Leur fille, pour une raison mystérieuse, a choisi d'habiter dans le quartier miteux de Roxbury, le long des lignes de chemin de fer. Boston ne possède pas de ghettos ou de cités hautement criminels comme d'autres grandes villes du monde, mais ici, on est loin de l'élégance et de la richesse de Woodland Road.

Thomas et moi restons quelques instants immobiles sur le seuil, hésitant à pénétrer dans le vestibule, plutôt surpris. Nous nous jetons de concert un coup d'œil éloquent, secouant la tête, puis accomplissons un pas en avant, comme dans un spectacle bien rodé.

Dans la lumière feutrée qui peine à filtrer à travers les volets, le salon de Rebekka offre un sentiment épuré. De vide. Pour ce qui est des meubles, je pourrais les énumérer sur les doigts d'une main : un canapé bas de gamme, une table basse de récupération et une commode sur laquelle trônent quelques livres oubliés.

— C'est pas le grand luxe, ici, laisse tomber Thomas.

Les murs sont nus pour la plupart, à l'exception d'une représentation de l'un des tableaux de Munch, le Golgotha, colline sur laquelle est crucifié le Christ entouré d'une foule de personnes aux visages déformés. Flippant, à dire vrai. Mais toutes les peintures de Munch me provoquent souvent un effet répulsif, comme si j'avais affaire à un esprit perverti et fou que je ne saurais pas décortiquer.

En silence, je furète dans la pièce, les mains dans les poches de mon jean. C'est petit, étriqué et vide, mais propre. Aucune assiette sale ne traîne dans la cuisine. Aucun vêtement sur le canapé, aucun magazine. Tout est en ordre. Trop, peut-être.

Derrière une porte close, je repère le bureau, étroit lui aussi, c'est presque un placard. Il n'y a pas grand-chose à l'intérieur hormis le meuble lui-même, assez imposant, et une étagère, agrémentée de quelques livres. Je décide de le laisser à Thomas. La chambre d'abord. Le cœur de l'intimité.

Je la déniche au bout du couloir dont le parquet couine sous mes pas, à côté d'une salle de bains presque pittoresque, avec sa douche au carrelage blanc, son porte-serviette et l'absence assez incroyable de touche féminine. Pas de produits de beauté, de sèche-cheveux. Pas de brosse à dents non plus. Ce qui pourrait indiquer qu'elle a bel et bien quitté les lieux d'elle-même. En revanche, je peux humer son odeur. L'arôme de Rebekka. Sucré. Doux. Agréable. Celui de son gel douche peut-être. Ou bien de son parfum, car il me suit jusque dans sa chambre.

À l'image du salon, celle-ci est sobre. Pire que chez moi. Le superficiel ne semble pas s'intégrer au vocabulaire de Rebekka. Un lit. Un dressing. Point. Je peux noter tout de même quelques détails. Un plaid pourpre bien tiré aux angles du matelas. Propre aussi, parfaitement rangé. Seul son délicieux parfum donne le sentiment qu'une femme habite bien ici, auquel cas je me poserais sérieusement des questions. Plus qu'un appartement témoin, une personne qui ne veut surtout rien dévoiler. Pas matérialiste. Je n'ai même pas repéré de télé ou d'ordinateur. Qui vit avec aussi peu, de nos jours ?

Qui es-tu, mystérieuse Rebekka ?

Je passe dans son dressing, minuscule, en ordre, bien sûr. Quelques jeans, t-shirts, peu de robes ou de tenues sexy. Pas le genre de la maison manifestement.

Je m'imagine une vieille fille, toujours à traîner en jean large pour cacher ses formes. Complexée. Peu sûre d'elle. Mais je n'ai aucune photo pour en attester. Rien sur les murs. Pas de souvenirs qui errent sur un meuble. Elle donne un sentiment de contrôle absolu, comme si elle désirait que nul ne sache qui habite ici, de quelle manière, ce qu'elle cache au fond de son âme qui pourrait transparaître à travers ses affaires. Une personne très secrète. Renfermée sur elle-même.

Animaux Nocturnes (Black Ink éditions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant