A l'heure

4 1 0
                                    


Victor descendait la rue d'un pas vif. Il jeta un coup d'œil furtif derrière lui. Il était suivi, et il en était sûr. Et ce n'était pas la première fois.

Ces derniers temps, il y avait toujours cette ombre, au coin de coin de son champ de vision, qui le suivait toujours. Toujours. 

Ca avait commencé mardi. 

Mardi, le jour de ma réunion au bureau. Victor commençait le travail un peu plus tôt le mardi, pour avoir le temps de se préparer pour la réunion, il faut être sérieux. 

6 heures, le réveil, 6 h 15, le café. 7 h 11, le bus. Arrivée à 8 h 06 à l'arrêt s'il n'y a pas d'embouteillages. Et de cette façon il pouvait arriver à exactement 8 h 15  au bureau le mardi matin. Trente minutes avant les autres jours, même le samedi. 

Victor aimait le temps. Tout dans sa vie était calculé, chronométré, basé sur le temps. Il avait une capacité de gestion du temps et même d'adaptation remarquable, et ça depuis son plus jeune âge, alors qu'il collectionnait encore les chronomètres. Victor n'avait pas été un petit garçon joueur, chahuteur. Il avait collectionné les montres et passé ses journées à observer le temps sur chaque chose. 

Il s'asseyait dans le jardin, et regardait le temps que mettait une feuille à tomber de l'arbre, quelle distance parcourait une fourmi en six secondes, combien de temps maman mettait pour aller du portillon rouillé qui grinçait jusqu'à la porte de la maison. Il avait des carnets entiers dans lesquels il consignait ses observations. Et bien sûr, il notait soigneusement, même lorsqu'il était malade, l'heure de lever et de coucher du soleil.

Ce qui l'avait donc mené ce mardi, à 7 heures 08 exactement au cas où le bus aurait de l'avance à attendre ledit bus tout en comptant le nombre de secondes qui s'écoulait entre deux affiches sur le panneau d'affichage du trottoir d'en face. 

Et c'est là qu'il l'avait aperçue. L'ombre. Ce n'était pas comme un personne qu'on a simplement dans la périphérie de sa vision. Cette ombre lui avait tout de suite semblée différente, elle avait immédiatement attiré son attention. Elle le suivait depuis. 

Il pressa le pas sans se retourner. Il s'était rendu compte bien vite -moins d'une journée, 18 heures et 36 minutes environ- que l'ombre s'évanouissait dès qu'il se retournait. Mais il la sentait peser derrière lui.

Cela l'avait rendu de plus en plus nerveux ces derniers jours. Victor n'était pas le genre de personne à s'inquiéter, et encore moins à devenir paranoïaque. Il avait des choses plus importantes à faire. La réunion de mardi à 9 heures, celle de jeudi à 14 heures, tout son travail et évidemment, évidemment, compter le temps. 

Certains diraient que c'était une obsession. Victor rétorquerait qu'il n'en avait que faire de leur avis, et que d'ailleurs il ne leur avait rien demandé. Puis il ajouterait, pour leur gouverne, que, pas du tout, en dormant en moyenne 6 h 24 par nuit, il y consacre un peu moins de 17 h 03 par jour, ce qui est tout à fait insignifiant voyons. 

Ce mardi là, il était tout de même arrivé à l'heure. Et la réunion s'était bien passée. Il avait été dans les temps, avait parlé exactement la durée prévue. Et il avait géré le temps des questions à la minute près, comme d'habitude. 

Mercredi, il avait décidé que cette ombre n'était qu'un léger trouble de la vision. Encore une fois, il était arrivée à l'heure et la journée s'était bien passée. 

Mais jeudi il était arrivé en retard. Et il avait complètement raté la présentation, qui était pourtant censée être la plus importante du trimestre. La faute à cette maudite ombre qui le suivait partout ! 

En ce vendredi, il n'avait pas raté le bus. Il n'était pas arrivé en retard. Il avait simplement décidé de ne pas aller au bureau. Il était bien motivé à semer cette ombre. Cela faisait à présent 2 heures et 47 minutes qu'il marchait, pensa-t-il en jetant un coup d'œil à sa montre. 

Cette ombre ne voulait-elle donc pas partir ?

Il tourna au coin de la rue. Il allait tenter de la perdre dans les ruelles. Mais avant qu'il ne puisse s'engouffrer dans la plus proche, l'ombre s'approcha rapidement.

7 secondes, pensa-t-il inconsciemment, et elle était sur lui 


                                                                  *                          *                         *


Seule dans la rue, à l'abri du regard de qui que ce soit, la Mort cueillait Victor, qui tomba en exactement 3,8 secondes. 

InspirationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant