I- Lenora Hoddington

208 9 6
                                    

Cela faisait quelque temps déjà que Lenora patientait là, assise sur une petite chaise de bois. La jeune fille se trouvait dans une petite horlogerie qu'elle connaissait bien, dans la pièce arrière où nombre de pendules cliquetaient en cœur ; la tête dans les nuages à rêvasser, songes et rêveries sans liens, moment de silence propice à mettre de côté un temps ses inquiétudes et malheurs.
Cette attente ne faisait naître en elle aucune colère et ce, car elle attendait son père. Lui qui avait opté pour la profession d'horloger, peinait pourtant constamment à arriver à l'heure donnée.
Si la renommée de l'horlogerie Hoddington, fière de ses pendules et horloges n'était plus à prouver; et même si la population n'avait la moindre excuse pour ne pas s'en procurer, le propriétaire retardataire malgré lui la leur donnait, celui-ci peinait constamment à arriver à l'heure donnée.
L'atelier de la pièce arrière était empli de rouages, aiguilles et cadrans semblant venir d'un tout autre temps, pendules et horloges accumulées créaient comme une impression de flottement, une autre époque, une autre vie, un autre temps, comme dans ces petits moments, où quand seul on venait à se trouver, sentant les douces secondes défiler, l'on se prenait à rêvasser, penser que peut-être à cet instant, de la Terre étions les derniers.
L'échoppe d'Hoddington se trouvait dans le quartier où les plus pauvres venaient errer, où plutôt se terrer. La plupart d'entre eux affluaient ici pour pouvoir être aidés, rejoignant la chapelle à deux rues où le père Matthew leur offrait à manger. La jeune femme se mit à penser qu'elle devrait peut-être plus tard le retrouver, le saluer avant de faire ce pourquoi elle s'était engagée.
Apparaissant au milieu d'usines abandonnées et de bâtiments déchus, l'horlogerie était pourtant bien entretenue; Lenora était fière de son père qui avait tout donné pour que sa boutique soit synonyme de confiance et de qualité.
Les aiguilles sur les horloges continuaient à défiler, et pourtant son géniteur tardait toujours à arriver.
Cela laissait à Lenora le temps de sombrer un peu plus longtemps dans ses pensées.
La jeune fille, les yeux rivés sur l'une des horloges, observait son reflet et scrutait sa tenue, priant pour ne pas que sa confiance en elle encore une fois ne s'atténue. Elle s'était habillée spécialement pour une cérémonie qui avait lieu ce soir. Affectée à la garde royale, de son père, elle était le plus grand espoir. Mais ce fait la condamnait à une certaine anxiété, entre nouvelles et potentielles responsabilités ; une envie de ne pas décevoir et tout gâcher et une solennité, festivité dont elle se serait bien passée
Dans la vitre de la pendule, son visage reflété, révélait une jeune femme d'une grande beauté.
Ses fins cheveux d'argent rassemblés en une natte soignée, ses yeux ambres pétillants de douceur, d'indulgence et de bonté. Son petit nez retroussé, sa peau de porcelaine immaculée, cette impression de fragilité, comme si le simple fait de l'effleurer pouvait la briser à jamais.
Elle semblait prête à fondre en larmes à tout instant, pourtant il n'en était rien. Pourquoi était-ce ainsi que la voyaient les gens, ça, elle n'en savait rien.
Timide sans vraiment le cacher, elle peinait souvent à ce que sa parole soit considérée. Un peu fleur bleue, cela sautait aux yeux, elle était de ceux qui préféraient la lune mélancolique au soleil joyeux.
Elle aimait les roues des carrosses sur le pavé, voir le soleil poindre et se refléter sur la boucle de rivière qui la capitale entourait, entendre les enfants jouer le matin près de la petite boulangerie aux effluves de pain séduisantes à s'en damner, malheureusement c'était bientôt la perte de tous ces plaisirs qu'elle encourait, vilaine idée qu'elle préférait taire pour le moment et ne plus y penser.
Peur du futur mais aimant son passé, elle aurait adoré voir ses parents se marier. Les voir ensemble et heureux encore juste une fois, cela l'aurait comblée de joie.
Son père lui avait appris à rire, sa mère à pleurer, pas de son fait si elle avait rejoint le ciel étoilé.
Depuis la perte de sa maman, la maladie l'ayant emportée, Lenora avait depuis lors toujours été effrayée de cet instant où l'horloge sonnerait et viendrait lui conter qu'à partir de maintenant le temps lui est compté.
Sa disparition les avait laissés dans un profond mal-être, son père et elle avaient eu du mal à s'en remettre, l'esprit assombri par de douloureuses pensées, ils se rappelaient tous deux que quelque chose avait changé; seul le temps pourrait peut-être un jour les plaies panser.
Pour lui, pour elle, pour eux, les scarifiés, ceux qui avaient subi la perte d'un être aimé, ceux pour qui les choses immatérielles étaient chéries et adorées.
L'amour d'une femme, l'amour d'une mère, inconditionnel, infini, et nul ne peut l'acheter.
Lenora avait vu toutes les saisons sur le visage de son père, et elle le savait, l'automne était de loin la plus douloureuse. Cette pluie parcourant son visage, le voir ainsi pleurer, cette impuissance ressentie, terrible, vertigineuse, ça, la jeune femme ferait tout pour l'éviter.
La porte s'ouvrit tout à coup, surprenant Lenora, qui perdit le fil de ses pensées. Un homme entra, d'apparence soignée. Costume propre, attitude assurée, ses favoris travaillés et ses cheveux en arrière, ne faisaient que révéler pour son physique une attention particulière.
Replaçant sa cravate dans son gilet de costume de manière affectée. Il cherchait des yeux, son enfant qui l'attendait.
Son visage ridé traduisait un âge avancé, mais pourtant arborant un sempiternel sourire, il était du genre à faire paraître le meilleur au lieu du pire. L'homme était encore plus minutieux que les montres qu'il procurait.
Sa tristesse, il aurait voulu ne jamais la montrer, il s'était évertué à la dissimuler. C'était le sourire d'un homme brisé mais qui faisait de son mieux, espérant à nouveau pouvoir couler des jours heureux.
Maxwell Hoddington, horloger de métier, vint enfin à la rencontre de sa fille qu'il chérissait.
Derrière les rides sur son visage, il traînait un lourd passé, le souvenir d'un conflit qu'il n'avait jamais oublié. Enrôlé jeune à la guerre, pour combattre pour sa nation, il n'avait pour le conflit aucune considération.
Chargé d'entretenir et de réparer les armes, pour cela il était doué. Virtuose des manipulations de fusil et de mousquets, il n'y en avait pas un qu'il ne puisse arranger, c'était pour lui une véritable passion de les décortiquer.
Seulement, même à un poste comportant moindre danger, il finit tout de même par être blessé. Mais il ne maudit pas cette blessure qui longtemps l'empêcha de marcher, car c'est grâce à cela qu'il rencontra sa bien aimée. La jeune Helena Safford, infirmière de métier, était devenue Helena Hoddington une fois l'amour de sa vie épousé.
Les choix et événements les menant à se rencontrer, Maxwell Hoddington pas un jour ne regretta ses difficultés à marcher.
Une fois le conflit terminé, il devint horloger. Plutôt que d'entretenir et réparer des armes conçues pour tuer, de devoir regarder les soldats tomber, il dédia son existence à fabriquer des horloges faites d'aiguilles et cadrans, leur permettant de voir le temps, les aidant à réaliser le délai qu'il leur restait, pour accomplir leurs rêves et leurs souhaits.
L'homme s'approcha de la jeune femme et s'écria :

Our Last LightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant