XIII. Le Festin De Castel Lurkmere

17 3 1
                                    

Cela faisait plusieurs heures déjà que Lenora pistait des empreintes de pas, les suivant désespérément, elle était à la recherche des survivants. Ils avaient disparu, s'étaient volatilisés, pendant son escapade dans la forêt avec Lycosa l'araignée.
La comtesse Kalendra, avait joint l'acte à la parole, les avait emmenés vers son manoir avant que la situation plus encore ne dégringole.
La jeune soldate les avait pistés et sortant finalement de la forêt, arrivait à l'orée en face d'un spectacle étonnant : Le manoir était bien là, dans un parfait état. Comme si ce bois n'était qu'un passage menant le cauchemar au normal, dans un voyage délirant.
Ses yeux découvraient le tristement célèbre Castel Lurkmere, siège de nombreuses légendes à empêcher de dormir, lieu qui partageait les mauvaises rumeurs avec sa propriétaire, même si une fois là-bas, par peur elles se faisaient souvent taire.
Étrange décision d'avoir choisi Castel Lurkmere pour nom, l'habitation ressemblait un manoir mais d'aucune façon quiconque aurait pu le confondre avec un château, Kalendra et sa haute estime d'elle-même ainsi que ses ambitions avaient dû influer sur son appellation.
Jeune femme voyait des gardes là postés, ils semblaient d'une telle austérité. Elle n'était effrayée par eux, mais n'avait pas assez confiance en ces hommes et en ces temps dérangés.
Lenora s'approcha néanmoins, les survivants n'étaient sûrement plus très loin. Les gardes en la voyant l'arrêtèrent, elle se rendit sans discuter, ne pensant pas être ennemie mais plutôt une alliée.
Ils l'escortèrent vers Lurkmere dans un silence détonnant, ce qu'elle trouva fort embarrassant et étonnant. Loin de la vertu, de la verve et de la bonne volonté du capitaine Cadney, ceux-ci étaient plus taiseux, taciturnes et mesurés. De vrais soldats de Helmsburrow, protecteurs de la comtesse, loin du côté amical des officiers de la capitale, de vrais guerriers entraînés et rodés, prêts à affronter les mauvaises humeurs et les caprices de sa majesté, la dirigeante la plus difficile à vivre avec laquelle cohabiter.
Ils parcouraient les couloirs luxueux et époussetés, loin du côté désuet et austère du château Skaldhorn. Le manoir était bien plus décoré, bien plus apprêté, du fait de sa petitesse, c'était certain mais surtout du fait de sa propriétaire, parfaitement ordonnée.

A la simple façon dont les tableaux, les tapis et les murs, jusqu'aux livres et leurs reliures, étaient si propres, triés et ordonnés, on pouvait facilement deviner, le côté cruel, intraitable et assuré, d'une femme de pouvoir qui aime à diriger. Diriger ? Non, plutôt dominer, Kalendra, c'était le plaisir de pouvoir dire, de pouvoir ordonner, que l'on fasse reluire dans ce manoir le moindre objet. Et si ceux-ci avaient eu droit à la pensée, eux aussi par cette femme seraient terrifiés.
C'est ainsi que Lenora Hoddington, vulgaire fille d'horloger, entrait maintenant à la cour d'une femme puissante et fortunée. Elle ne l'aurait jamais cru, n'aurait jamais osé se l'imaginer. Mais la jeune femme si innocente n'avait pas idée de ce dans quoi elle avait mis les pieds. Elle qui depuis peu, accumulait les funestes destins, était maintenant pile à l'heure pour un odieux festin.
La salle principale, éclairée par les lumières des lustres de cristal onéreux, montrait à la nouvelle invitée un véritable et tragique banquet : Elle les avait cherché, et bien c'est ainsi qu'elle les avait retrouvés. A défaut de tables, de victuailles et de vins savoureux, et à défaut d'avoir enfin endroit ou mettre pied à terre pouvoir se reposer et aspirer à de nouveau vivre en paix et heureux, les survivants n'avaient point espoir ni leur part car le repas c'était eux.
Tragique scène qu'elle voyait, les gardes le regard détourné, laissaient la cour de Kalendra dévorer les survivants qui pour fuir avaient tout tenté.
Des monstres horribles aux dents acérées, des corps dont le diable en personne semblait s'être emparé. Des visages presque humains mais au sourire carnassier, de véritables prédateurs prêts à déchiqueter leurs proies en morceaux dans un carnage indécent, monstres nocturnes immondes attirés par le sang.
Dans le folklore, ils avaient toujours existé mais c'était à mille lieues de ce qu'on lui avait conté. Des humains difformes aux traits effroyables, de véritables vampires qui s'étaient mis à table et au-dessus de tout cela, Kalendra, qui depuis le haut de l'escalier observait la scène d'un air désintéressé. Son expression changea quand elle vit au milieu de la pièce, escortée par les soldats, la jeune et auparavant optimiste Lenora. Pour une fois la voir la comblait de joie mais souhaitait-on vraiment savoir pourquoi ? C'est là que Kalendra hurla :

—ASSEZ !

Les créatures jusque-là déchaînées se calmèrent en entendant la voix autoritaire et indignée de la comtesse incommodée.

—Celle-là est à moi, ne vous avisez pas de la toucher, quiconque ignorera mes dires s'en trouvera exécuté, Désignant la jeune femme aux cheveux argentés.

La maîtresse du manoir, Kalendra, ne plaisantait vraiment pas et elle n'était pas du genre à laisser les autres lui voler sa proie.

—Pour l'heure, j'ai deux trois choses à régler, laissez-la donc vagabonder, lorsque je déciderai que venue serait son heure, j'irai la trouver.

Lenora la regardait en silence, c'était comme une évidence, elle n'avait droit à la clémence.
Mais pour l'heure au moins il lui restait du temps avant que ne se profile un macabre événement.
La comtesse après cette intervention s'en alla. Ne pouvant offrir secours aux pauvres diables qui servaient de repas, des soldats et des vampires par dizaines, sa lame ne suffirait pas, elle évitait les excès de zèle. La jeune Lenora ne pouvait rien faire, même si ce n'était pas l'envie qui lui en manquait, mais rester en vie c'était pour elle le plus important, trouver une sortie avant que la comtesse ou ces monstres véhéments, ne viennent la mordre de leurs dents.
La jeune femme explora le manoir à la recherche d'elle ne sait quoi, tout cela sous les regards des prédateurs au rires narquois.
Pour eux c'était une évidence, la jeune femme allait tout droit vers sa dernière danse.
Lenora marchait dans un couloir, ses pas timides résonnants, cette solitude, sentiment si étouffant, lui donnait l'impression d'être hors du temps, si tant était que le temps était encore présent dans ce monde si désespérant. Cela ne l'aurait pas étonnée que le temps lui-même l'ait lui aussi abandonnée, peut-être même que les aiguilles elles-mêmes avaient arrêté leur course effrénée, que les grains de sable ne s'écoulaient plus dans le sablier.
Elle regardait les murs du couloir, somptueusement décorés d'une propreté si insolente ayant sûrement rendu plus d'une servante éplorée. La jeune femme avançait en sachant bien que s'approchait sa fin. A la comtesse, elle n'aurait peut-être pas dû causer du tort, maintenant c'est comme si elle avait une condamnation à mort. Elle qui avait fait le choix d'essayer de sauver les rescapés par justice et par compassion, attendait maintenant sa prochaine confrontation. Jeune fille bouillonnait de l'intérieur, ne pas pouvoir aider les pauvre rescapés qui dans gueule du loup tout droit s'étaient jetés. C'était tellement injuste, elle les avait séduits et manipulés.
Lenora était triste et révoltée que Kalendra soit ainsi, un monstre assoiffé de sang à qui rien ne suffit, exigeante, mal aimable et imbue d'elle-même, qui avait l'ambition et la cruauté pour seuls emblèmes. La petite soldate aurait préféré bien meilleure seigneur à cette femme dont noir était le cœur.
Mais maintenant à cette heure jeune fille avait pourtant fuit ses peurs. Fuir c'était s'exposer à une vie sans saveur, peut-être espérait-elle un sauveur, celui ou celle qui guérirait son cœur. Solutionnerait sa vie, sa peine, ses erreurs, son désespoir, son pessimisme, son aigreur.

Elle se sentait condamnée, privée de bonheur, pouvait-on lui reprocher si la vie l'écœurait ? Elle n'avait rien et ne voulait plus rien. C'était quand on perdait tout que l'on apprenait la valeur des choses et des siens. Si on perdait tout et que la vie ne valait rien, devait-on considérer ceux qui avaient tout et qui se plaignaient comme de vulgaires vauriens ?
Devait-elle en vouloir à ceux qui allaient bien ? Faire justice elle-même, était-ce un véritable moyen ? Elle ne se sentait pas vengeresse ni investie d'une sombre colère, elle ne ressentait rien, était vide, ne savait que faire.
Au diable cette impuissance, Lenora continuait malgré elle à avancer, n'avait même aucune idée du destin qui pour elle était tracé.
Jeune soldate n'avait pas le moindre remord concernant ses désaccords, à raison ou à tort avec la mort. Elle y repensait encore et encore sans aucun effort, ce deuil qui toujours là, la rongeait et la dévorait, la poussant à croire à un mauvais sort ou bien à une malédiction, dont elle n'avait pas même le nom.
Une ombre surgie de nulle part la coupa dans ses pensées, un prédateur entraîné aux instinct aiguisés, empreint d'une certaine témérité, tout du moins assez pour se permettre avec danger d'ignorer, les avertissements fondés que la comtesse avait proférés.
Ses crocs sortis, ses griffes acérées, un vampire assoiffé était venu la trouver. La pauvre, prise au dépourvu, eut peine à se défendre comme elle l'aurait voulu, face à la créature mal venue qui avait choisi sur elle de jeter son dévolu. Et pour la jeune femme il était vraiment surprenant et incongru que le monstre ignore l'ordre que tous avaient entendu, elle croyait que tout le monde s'y serait tenu.
Mais le prédateur depuis le début l'avait flairée, espérant pouvoir à un moment s'affairer, à attraper cette proie comme un poisson qu'on viendrait ferrer, quitte à ignorer celle qui avait prévenu et légiféré, pour qu'on lui laisse sa cible de choix qu'elle avait hâte d'éviscérer.
Néanmoins il s'était avéré insupportable pour le vampire de la laisser, ses instinct trop puissants le poussant tout de même à la chasser, malgré les avertissements proférés.
La pauvre Lenora par son épée ne faisait que réussir à tenir éloigné tant bien que mal le prédateur qui sur elle s'était jeté. Le combat était rude et dangereux pour les deux, car si l'un était plus fort, l'autre en un coup pouvait l'occire, son fleuret en guise de pieux qui en un estoc en plein cœur faute de mieux, l'enverrai en enfer pour y pourrir, renvoyant d'où il venait cet affreux vampire.
L'infâme créature à présent n'avait d'autre solution que d'aller au bout de sa décision.
Il sauta tout à coup sur la jeune femme, tout crocs dehors qui, se jetant sur le côté, l'esquiva dès lors. La soldate planta sa lame dans la jambe du chasseur inversant le statut de proie et prédateur.
Le monstre hurla de douleur, peut-être était il déjà sans vie à l'évidence, mais cet avantage ne lui permettait apparemment d'ignorer ni douleur ni souffrance.
Elle retira la lame et celui-ci se retourna bien décidé à occire celle qui venait de le blesser.

Our Last LightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant