La bicoque, minuscule, ne comportait qu'une cuisine, une salle de bain, une chambre à coucher et une salle à manger qui servait également de salon. Le confort s'avéra des plus rudimentaires comme je le pressentais : un poêle au charbon pour toute la maisonnée. Je me sentais comme un pagure dans un coquillage trop petit pour lui.
Devenant claustrophobe en ces lieux, je décidai d'aller prendre l'air, d'explorer les alentours et pourquoi pas, me balader le long du bord de mer. Alors que je me dégourdissais les jambes, je constatais qu'il ne se trouvait pas âme qui vive dans ma rue. Le chemin ne comportait aucune trace d'une quelconque présence humaine : pas le moindre vélo sur les devantures, pas d'enfants se courant après, pas d'agitation dans les chaumières. Les volets clos voilaient les fenêtres et ne laissaient rien percevoir de l'intérieur des maisonnettes et cela, bien que le clocher de l'église de village sonnât midi. On pouvait s'attendre, au vu de l'heure, à ce que les habitants laissent entrer le soleil chez eux. Rien. Seul le vide et le silence occupaient les lieux. J'errais seul dans cette rue morte comme un fantôme erre au milieu des tombes d'un cimetière.
Quelle raison pouvait amener les gens à abandonner une rue entière ? Je décidai que j'éclaircirais ce mystère une fois au cœur du village, là où je devrais, je l'espérais, trouver quelqu'un d'instruit à ce sujet.
La place communale se composait en tout et pour tout d'une église, d'un bistro et d'une épicerie. L'édifice religieux, aux pierres rongées par le vent salé, semblait s'effriter depuis des années, tel un lépreux abandonné dans un fossé. L'estaminet se composait d'un bâtiment vitré avec une enseigne illisible sur la façade et d'une terrasse sur sa devanture. Enfin, peut-on seulement parler de terrasse pour qualifier deux chaises en bois pourri autour d'une table en acier rongé par la rouille ? Qu'importe, qu'on puisse la nommer ainsi ou non d'après son allure, elle en possédait au moins la fonction puisque deux clients consommaient là des bières dans des chopines en verre. Enfin, je posais mon regard sur l'épicerie. Le bâtiment comportait une vitrine recouverte d'une épaisse couche de saleté qui, aurait fait frémir ma chère Louise, si elle avait été encore de ce monde pour voir cela.
Je tentai de percevoir quelque chose à travers ces vitres teintées de crasse, sans succès hélas. A quoi bon s'attarder ? Il me faudrait de toute façon entrer pour m'approvisionner. En effet, mes seules vivre se limitaient à un paquet de biscuits à moitié dévoré durant mon trajet.
Lorsque je poussai la porte et pénétrai dans l'édifice, une clochette retentit, suivi peu après par de petits coups secs à intervalles réguliers, un bruit de bois que l'on tape sur la pierre. Ce martèlement provenait des sabots de la tenancière du lieu, une vieille dame à l'allure rabougrie, décharnée, édentée, avançant péniblement derrière son comptoir. Elle m'apparaissait comme l'une des trois Moires décrites par l'auteur grec Hésiode dans sa Théogonie. Je la cru évadée du Tartare ou de l'Hadès. Je sursautai lorsqu'elle s'adressa à moi dans un râle d'outre-tombe.
Ma frayeur passée, je la fis répéter et, bien que parlant couramment le néerlandais, j'éprouvais une grande difficulté à la comprendre. La vieille s'exprimait dans un patois de la région. Je devrai constater plus tard que tous usaient de cet idiome à Zotteberge. A force d'efforts et de répétitions qui semblaient agacer mon interlocutrice, je fini par comprendre qu'elle désirait savoir ce qu'un étranger fichait dans cette bourgade et si je comptais acheter quelque chose ou juste rester là, la bouche béante comme un merlan frit.
Je lui contais mon envie de vacances et lui fit part de mon besoin de provisions. Elle ne comprenait pas bien l'intérêt de venir se dépayser en ce coin reculé du pays et intérieurement, je me savais d'accord avec son sentiment. En remplissant un sac en papier avec diverses denrées alimentaires, elle me demanda où je logeais. Lorsque le lui répondis que je louais la maison d'un vieux marin dans la rue déserte en bord de mer, elle marqua un temps comme pour digérer l'information.
" Z'habitez al'rue des fols ? " Me dit-elle dans son dialecte.
Face à ma mine interloquée, elle m'expliqua que les gens qui vivaient là entendaient parfois la nuit des murmures venus de la mer. Des murmures dont on n'avait jamais trouvé la source et qui racontaient des choses horribles à qui les entendaient. Tant et si bien que les habitants fuyaient les lieux ou finissaient à l'asile. D'aucun prétendait que les murmures ont commencé avec la venue du vieux capitaine en 1918, d'autres disaient que ce devait être une technologie allemande resté sur place après la guerre et d'autres encore racontaient que ces chuchotements étaient audibles depuis la nuit des temps. Cela dit, nul ne connaissait l'origine de ses susurrements dans la nuit mais tous s'accordaient à dire que le capitaine semblait y être immunisé. Elle ajouta que personne de censé ici-bas ne désirait s'approcher de ce lieu maudit. Je ne donnais aucun crédit aux propos tenus par cette antiquité car, aucune preuve ne venait étayer ses dires. Elle déballait juste des rumeurs de villages. Ni plus, ni moins.
Le sac en papier rempli, je payai et pris congé de l'épicière. Quand j'eus le dos tourné, elle marmonnât une phrase que je crus déchiffrer comme étant :
"Bientôt les flots du destin s'abattront sur ces côtes."
Puis le martèlement des sabots de la vieille résonna de nouveau dans la pièce et la clochette de l'entrée retenti une fois de plus alors que je quittai l'établissement.
Avec hâte, je retournai déposer mes vivres dans la maisonnette. En passant dans la rue, je repensais aux dires de la Moire. Non, toute une rue ne pouvait avoir fui sous prétexte d'une hallucination collective. Une explication rationnelle existait très certainement et personne n'avait pris la peine d'investiguer en profondeur.
Une fois mes commissions entreposées dans les différents placards et armoires, je me mis en direction de la plage. Sur place, je pris soin d'enlever mes chaussures. J'appréciai le contact du sable sur ma voute plantaire, le sentir se glisser entre mes orteils. Je me baladais allégrement sur les carcasses décomposées de milliards de coquillages et de coraux. Si l'idée ne me perturbais guère à l'époque, la chose est radicalement différente aujourd'hui. Insouciant, je posai ma serviette sur ce cimetière d'entités millénaires.
L'atmosphère chaude, lourde et pesante habillait le ciel d'une couleur gris acier où seul le martèlement de l'orage pourrait forger un horizon teinté de bleu. Cependant, pour l'heure, l'armure éthérée d'air brûlant m'entourait, me carapaçonnait.
Sur cette plage, on n'apercevait nulle autre forme de vie que moi-même. Pas un humain, pas un oiseau, pas même un crabe. Rien ni personne. Je mis cela sur le compte de la température excessive et, profitant d'être seul, j'ôtai ma chemise. Cela ne changea pas grand-chose à la chaleur que je ressentais. Au contraire, je sentais désormais clairement les rayons du soleil sur ma peau et je me sentais cuire à chaque instant. Afin de me rafraichir, je trempai mes pieds dans l'eau salée. L'eau tiède me procura une douce sensation de plaisir et je me jurai de revenir le lendemain pour m'y baigner complètement. Pour l'heure, je devais mettre les voiles. La mer, bien que fraîche, n'arrivait pas à rivaliser avec l'astre du jour, ô combien zélé cette après-midi-là.
De retour à la maison, j'entrepris de me laver. Suite à quoi, je me préparai un repas. Je passai le reste de l'après-midi à errer dans ce village d'un autre temps. Tout me paraissait vieux et délabré, les bâtiments comme les personnes. Je ne vis lors de mes pérégrinations que peu de jeunes gens. Las de ne trouver aucune occupation ni aucun lieu intéressant à explorer, je rentrai en début de soirée alors que le soleil commençait seulement à prendre sa teinte rouge-orange typique du crépuscule.
Je me préparai un maigre repas et décidai d'aller me coucher après avoir lu quelques récits fantastiques de Maupassant. Mon sommeil fut agité cette nuit-là. Sans parler de cauchemars, je dirais que mes songes n'avaient pas été des plus reposants. Sur la toile de mes paupières se dessinaient des vagues et des spirales, formant des arabesques sans queue ni tête. Je crus également percevoir quelques murmures indéchiffrables. A mon réveil, j'attribuais tout cela à un mélange incongru de mes aventures de la veille avec mes lectures nocturnes. Mon cerveau, piètre cuisinier, avait dû s'essayer à une soupe avec des ingrédients incompatibles.
A cette pensée, l'appétit me vient, je pris mon petit déjeuner et entrepris de réaliser les mêmes activités que l'après-midi précédent. Un seul détail changea : je ne lus plus de Maupassant avant d'aller me coucher. Pourtant, le résultat fut identique. J'irais même jusqu'à dire que le phénomène empirait. Les formes, les couleurs, les sons, gagnaient en intensité, je les trouvais plus perceptibles et intrusifs bien que toujours incompréhensibles et angoissants.
VOUS LISEZ
Spirale
Short StoryEn 1937, Vincent Agor, journaliste, profite des premiers congés payés pour aller se ressourcer à la mer du Nord. Cela dit, arrivé sur son lieu de villégiature, ce qui aurait dû être une période de repos tourne au plus horrible des cauchemars. Souci...