Détournant mon regard de cette vision cauchemardesque, je posais mes yeux sur le texte gravé dans le sol sédimenteux. Un mot, un nom qu'une bouche humaine ne saurait reproduire avec exactitude. Je rechigne à l'écrire tant je sais ce qu'il représente désormais. Gbuuh. Voilà ce que je vis tracé sur cette plage de la mer du Nord. Lorsque je le lus ce jour-là, l'étrange suite de lettres ne signifiait rien pour moi. Je ne comprenais pas pourquoi ce marin s'obstinait à vouloir le retranscrire sur ce support éphémère constamment balayé par les éléments.
A ce moment, une seule idée me trottait dans l'esprit : fuir ce lieu maudit. Je pris mes jambes à mon cou aussi prestement que possible, laissant derrière moi les infortunés zombies en décomposition. Je n'allai pas chercher de l'aide auprès des gens de Zotteberge. En mon for intérieur, j'étais persuadé que cela ne m'aurait attiré que des ennuis supplémentaires. Aussi vite que je le pus, je regagnais la maisonnette que je louais. Prestement, j'enfilai des vêtements secs et sorti aussitôt de la maison, laissant derrière moi mes provisions et mon paquetage mais emportant, je ne sais pourquoi, le joyau des abysses. Le dernier souvenir que je garde de la bicoque est la vision des tulipes dont les pétales arrachés par le vent virevoltaient dans l'air tel des larmes de sang.
Grand fut mon soulagement lorsque je claquai derrière moi la porte de mon appartement. Ici, je me trouvais à l'abris. Des kilomètres me séparaient de ces horreurs mi-homme mi-mollusque. Jamais elles ne pourraient me pourchasser jusqu'ici sans attirer l'attention sur elles. Naïf ! Voilà un mot qui me représentait bien ce soir-là. Je ne me doutais guère que, malgré la distance, ces démons marins pouvaient m'atteindre. Oh non pas physiquement comme je le pensais précédemment mais bien mentalement...
Ces monstres me poursuivaient jusqu'à dans mes rêves. Alors que je pensais pouvoir me laisser bercer par les douces vagues d'une mer de songes paisibles, ils transformèrent celles-ci en un océan déchaîné. De nouveau naufragé mais cette fois dans un maelstrom de cauchemars. Ils me plongèrent au plus profond de l'abîme de mon inconscient. Et quand, enfin, je réussi à m'en extraire, dans un cri qui déchira la nuit, je ne pus que constater à mon réveil que la sueur et l'urine trempaient mon pyjama. Une fois encore, je m'en tirais indemne, rescapé de la noyade dans le monde onirique.
Dehors, le jour commençait à peine à se lever. Ces quelques rayons de lumière allumèrent en moi la flamme d'une idée. J'entrepris de me laver, de changer ma literie puis m'empressai de me rendre au commissariat le plus proche.
Assis derrière son bureau se tenait un homme moustachu qui n'avait pour seule pilosité crânienne qu'une couronne de cheveux posé là tels les lauriers de César. Son costume noir austère valait, en ces lieux, autant que la toge blanche du Sénat romain. En face de moi siégeait l'élite des forces de l'ordre, le commissaire Théodore Dormont. D'un geste de la main, il m'autorisa à prendre place devant lui. D'un hochement de tête, il m'invita à exposer la raison de ma venue. Je lui racontais tout par le menu, n'omettant aucuns détails. Je lui parlais de mon besoin de vacances, de mon séjour à la côte, de la sortie en mer, de la bête millénaire qui nous avait attaqué, du naufrage, de mes camarades écervelés, de ma fuite. Tout, je lui déballais tout.
Il m'écouta sans jamais m'interrompre, les mains jointes sur son bureau. De temps à autre, il hochait du chef pour me signifier qu'il écoutait et que je pouvais continuer. Une fois mon récit terminé, je restai immobile, attendant une réaction de sa part. L'inspecteur tendit la main jusqu'à son téléphone, d'un geste souple, il fit tourner les chiffres du cadran. Les secondes passèrent puis sa voix résonna. Une voix nasale, loin de celle que je me figurais :
"Allo Vanhuis, ici Dormont, aurais-tu des informations au sujet d'un incident impliquant un bateau au large de Zotteberge ? Un navire perdu en mer, dis-tu. Je te demande cela car j'ai ici un Monsieur, un journaliste qui prétend avoir fait partie de l'équipage ce jour-là. Impossible ? Perdu corps et biens, à trois milles marins de la côte, aucun survivant possible. Merci Vanhuis, préviens moi si tu as du nouveau."
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Spirale
Short StoryEn 1937, Vincent Agor, journaliste, profite des premiers congés payés pour aller se ressourcer à la mer du Nord. Cela dit, arrivé sur son lieu de villégiature, ce qui aurait dû être une période de repos tourne au plus horrible des cauchemars. Souci...