Esteban n'avait pas prévu de réagir comme ça.
Pour être tout à fait honnête, il ne s'était pas retrouvé dans ce couloir par hasard, il s'était même empressé de quitter l'internat pour aller chercher Sean à la sortie de sa khôlle et, pourquoi pas, l'inviter à manger quelque part.
Toutefois, il n'avait pas prévu de tomber sur un tel spectacle : monsieur Cojones, le professeur d'espagnol que Sean aimait tellement – pour des raisons qui lui étaient d'ailleurs complètement inexplicables, l'enseignant à la langue de vipère et au sourire mesquin n'ayant absolument rien pour lui, à part un accent madrilène parfait – lui faisant des avances. S'il n'avait vu que son pied contre la cheville de son ami, Esteban n'en aurait pas été si sûr, mais le tendre mouvement de son pouce sur la main de Sean, et les va-et-vient de sa langue contre ses lèvres ne trompaient personne : comment avait-il pu se permettre ? Il était trois fois plus âgé que lui, Sean n'étant encore qu'un jeune garçon à peine majeur qui, Esteban s'en rendait bien compte, devait être protégé.
A vrai dire, il s'en voulait un peu, maintenant que les yeux verts de Sean, agrandis par la peur et l'adrénaline, étaient posés avec panique sur lui, faisant s'envoler pour la énième fois de la journée les papillons ridicules dans son ventre. Il se sentait vulnérable et faible quand Sean était près de lui, il savait qu'il pouvait faire s'écrouler sa carapace en un claquement de doigts, et cela l'effrayait autant que ça lui plaisait.
Il relâcha un peu la prise autour de son col, sans s'éloigner pour autant. Sean soupira, et son souffle vint caresser la peau d'Esteban, qui frissonna.
- Este... Qu'est-ce qui te prend ?
Ca y est, il se sentait idiot. Comment allait-il pouvoir justifier son comportement agressif, sans avouer son faible pour Sean ? Il était pris au piège, désabusé, il ne semblait plus y avoir d'issue... Quoique... Il pouvait encore miser sur la lenteur d'esprit de Sean, et sa capacité à ne rien comprendre sans qu'on le lui explique à deux fois. Il fallait qu'il invente un mensonge, ou, tout du moins, qu'il camoufle la vérité, et vite.
- Tu comptais te vendre pour une bonne note ? C'est donc ça, tes valeurs ?
Les joues de Sean se tintèrent d'un rose doux qui attendrit instantanément Esteban, comment pouvait-il être si mignon ? Comment pouvait-il lui faire baisser la garde, simplement par son joli minois ? Les douces lèvres roses du garçons s'entrouvrirent, et il bredouilla :
- Me vendre ? Je...
N'avait-il toujours pas compris ? Esteban soupira en lâchant la veste de son ami. Après tout, peut-être que ses difficultés de réflexions l'avaient empêché de comprendre les véritables intentions de Monsieur Cojones, et qu'il n'avait en aucun cas pensé à entrer dans son jeu malsain. Esteban lissa avec tendresse le pull de Sean qu'il venait de froisser en l'agressant, et lui expliqua doucement, pour qu'il saisisse enfin :
- Monsieur Cojones est bizarre, et ça se voit à des kilomètres qu'il veut te mettre dans son lit, n'as-tu pas remarqué ?
- Si.
Mais ? La rage d'Esteban reprit de plus belle, tout était donc consenti ? Il voulait d'une relation avec ce sale professeur d'espagnol, mais pas avec lui, Esteban ? Son cœur tambourinait dans sa poitrine, il se mordait les lèvres pour éviter de crier, et serrait les poings pour ne pas avoir à frapper dans le mur le plus proche. Ce garçon le rendait fou, il aurait tout fait pour le défendre, mais il ne voulait pas l'effrayer, lui montrer le côté sombre et bagarreur de sa personnalité.
Pour se calmer, il se plongea dans le vert de ses yeux. C'était ridicule, il en avait conscience, mais rien ne l'apaisait plus que cette couleur, ce marron châtaigne qui se teintait d'un vert profond au soleil, comme si tout un monde se cachait dans ses iris. Esteban pouvait s'y perdre pendant des heures, il les fixait du coin de l'œil en cours, sans que Sean ne s'en aperçoive, et passait de longs moment à tenter de les imaginer, quand ils n'étaient pas ensemble.
Il soupira encore une fois, passa une main dans ses cheveux, posa de nouveau les yeux sur Sean :
- Tu ne trouves pas ça ignoble ? Ce mec est dégoûtant, il n'a pas le droit de faire ça, tu as à peine dix-huit ans et...
- Je sais, dit comme ça, c'est affreux, mais... Il est tellement mignon...
- Sean !
- Quoi ? C'est vrai ! Enfin, je sais que tu n'es pas d'accord, mais c'est ce que je pense. De toute façon, j'aurais fini par le repousser.
- C'est vrai ?
Le cœur d'Esteban s'emplit de joie, et une vague de soulagement le submergea.
- Oui, évidemment. Je suis pas gay.
Esteban resta muet. Je ne suis pas gay. Encore cette phrase. Qu'en savait-il, tant qu'il n'avait pas essayé ? Il sentait ses ongles s'enfoncer dans les paumes de ses mains tant ses poings étaient serrés.
- Ah, oui, évidemment.
Il employait tous les efforts du monde pour ne pas s'énerver. Il baissa le regard, et se détourna de Sean. Ce dernier le suivit de près : il pouvait entendre ses pas derrière lui. Il aurait tout donné pour ne pas être là, à cet instant, il aurait vendu ses deux parents pour revenir au soir où Sean s'était endormi dans ses bras, tous les deux serrés dans son lit. C'était il y a si peu de temps, et pourtant, il sentait cette époque presque révolue : auraient-il de nouveau l'occasion de partager de tels moments ?
- Je te le promets, Este, je n'aurais jamais fait quelque chose comme ça. Je suis pas ce genre de mec, je te le jure.
Si seulement il savait que ça n'avait rien à voir. Esteban ne répondit pas, et se précipita vers les escaliers. Il fallait qu'il prenne l'air, qu'il sorte du lycée, il ne pouvait pas faire semblant.
Ils passèrent tous deux devant la table où les khâgnes vendaient des places pour le Zinzin, la fête de fin de trimestre, et cela l'accabla encore plus. Esteban avait peu d'amis en dehors de Sean, il ne s'ouvrait pas facilement aux autres, c'était un garçon mystérieux : s'il se disputait avec son seul ami, alors il n'irait pas à cette soirée. Il se rendait peu à peu à l'évidence : leurs discussions nocturnes, leurs éclats de rire en histoire, sous le regard inquisiteur de monsieur Coussard, leurs tête-à-tête dans les fast-foods, tout ça appartenait maintenant au passé. Il soupira une nouvelle fois.
- Je voulais t'inviter au Zinzin.
Surpris, Esteban se retourna :
- Quoi ?
- Je voulais qu'on y aille ensemble et que... Enfin...
Il baissa un instant la tête, rougissant, avant de la relever et de finir :
- J'ai deux costumes de sumo, je m'étais dit qu'on pourrait faire un matching-costume.
Oh. Y aller... ensemble ? Entre... amis ? Esteban savait qu'il devait être énervé, mais il ne pouvait s'empêcher de s'attendrir devant l'air gêné de Sean, qui se triturait les mains comme un enfant idiot en attendant sa réponse.
- Et pourquoi n'irais-tu pas avec Monsieur Cojones ?
Cette phrase lui parut sentimentale, révélatrice, mais Sean était trop lent pour comprendre.
- Esteban, tu... Tu es la seule personne avec qui je veux y aller.
Les mots de Sean lui donnèrent des frissons. S'il n'avait pas si peur de sa réaction, et s'ils n'étaient pas en plein milieu du lycée, Esteban aurait pris le visage de Sean entre ses mains et l'aurait embrassé langoureusement. Mais c'était impossible, alors il se contenta de sourire.
- D'accord.
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Coup de foudre à l'internat - SEANxESTE
RomanceSi Sean pensait se connaître en arrivant au lycée Chôtelet, il se trompait. Estéban, jeune étudiant ténébreux de sa classe, vient vite retourner toutes ses convictions, tout ce qu'il pensait savoir de lui-même. Les deux amis, que le destin semble av...