Chapitre 2 : un bus vers le paradis

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Il était presque huit heures quand Estéban arriva enfin devant le bus, et tout le monde était déjà à l'intérieur. Avec horreur, il vit le visage de monsieur Gallin sortir du cadre de la fenêtre, sourcils froncés :

« Mais qui voilà ? C'est Estéban ? Il nous fait donc l'honneur de sa présence ? »

Sa voix partait dans les aigus à chaque fin de phrase, et ses mains, sur le rebord de la vitre, tremblaient : il devait déjà avoir bu tout le contenu de son étrange bouteille jaunâtre, contenant Dieu sait quelle vitamine ou drogue. Estéban se répandit en excuses devant les regards moqueurs des élèves, et alors qu'il sentait l'embarras s'emparer de lui, son regard croisa des yeux rassurants : c'était Sean, et le retardataire soupira en s'apercevant qu'il lui avait gardé une place. Sans attendre, Estéban le rejoint.

« Je t'ai laissé le côté fenêtre, je sais que c'est ton préféré. »

Cette attention le toucha, comment pouvait-il se souvenir d'un si petit détail, alors qu'ils ne se connaissaient que depuis une semaine ?

Tout avait commencé le jour de la rentrée, quand Estéban avait eu le courage de s'asseoir à côté de Sean, ce garçon ténébreux du fond de la classe. Malgré leurs débuts timides, bafouillant, il avaient vite aperçu les nombreux atomes crochus qui les liaient, notamment lors des longues soirées d'intégration, lorsque Estéban, l'esprit brouillé par la bière, se désinhibait sous le regard sobre de son ami. Ils avaient fini par rester l'un à côté de l'autre à chaque cours, et Estéban n'avait même pas cherché à se faire d'autres amis, ni même remarqué que chacun des élèves de la classe cherchait son amitié. Avec Sean, c'était naturel, intime, comme s'ils se connaissaient depuis toujours, comme si leurs âmes étaient liées.

Estéban sentit cette intimité à son paroxysme quand il enjamba les genoux de Sean pour atteindre son siège, se contorsionnant pour ne pas l'écraser et que soudain, malgré ses efforts, il se retrouva projeté vers l'avant, contraint à poser ses mains sur les épaules de son ami, le visage à quelques centimètres du sien : le bus avait démarré.

« Désolé. »

Cette soudaine proximité le fit rougir, et il posait son regard partout sauf sur les yeux de Sean. Ses pommettes, son nez, sa bouche : rien qui ne pouvait atténuer le rouge de ses joues. Il se redressa précipitamment et s'assit sur le siège en se raclant la gorge.

Dans le fond du bus, Raphaël, le mec bizarre de l'intégration, criait et bougeait dans tous les sens, mais ça n'atteignait pas vraiment les deux amis : quand ils étaient ensemble, c'était comme si le monde autour d'eux s'effaçait un petit peu. Pendant quelques minutes, ils parlèrent de tout et de rien, avec une fluidité impressionnante, sans qu'aucun silence ne s'installe ; puis ils échangèrent leurs playslists, partageant une paire d'écouteurs pour se faire mutuellement découvrir leurs artistes préférés. Après une cinquantaine de kilomètres, la fatigue finit par les gagner, et Sean s'endormit premier, rapidement rejoint par son voisin.

**

Ce fut la douce voix de monsieur Coussard qui réveilla Estéban. Ils étaient arrivés à Bruges : le trajet était passé en un clin d'œil, dans les bras de morphée. Etrangement, il ressentait un semblant de déception, comme s'il n'avait pas assez profité de ce long trajet avec son ami, qui, par ailleurs, était encore endormi.

Sur son épaule.

Estéban ne s'en était même pas aperçu, le poids de la tête de Sean, ses cheveux doux frôlant le creux de son cou, tout semblait si naturel qu'il ne voulait pas le réveiller. Malgré tout, il croisa le regard réprobateur de monsieur Gallin, sa boisson jaunâtre à la main, et il n'attendit pas plus longtemps.

« Sean ? »

Il bougea légèrement, chatouillant la peau d'Estéban, à vif.

« Sean. »

Cette fois-ci, il toucha doucement son visage. Il ne voulait pas le brusquer, mais il ne voulait pas non plus se faire battre à mort par le professeur de géographie. Sean ouvrit les yeux.

« On est arrivés ? »

Sa voix était encore enrouée de sommeil, et ce timbre grave fit étrangement frissonner Estéban.

« Oui.

- Je vous ai mis avec moi et Merlin dans une chambre, puisque vous dormiez, j'espère que ça vous va. »

C'était encore Raphaël, qui agitait brusquement une feuille de papier devant les yeux des deux garçons. Estéban fit rapidement les liens : chambres, auberge, feuille : ils allaient tous dormir ensemble. Cette perspective lui plaisait, tout comme celle de la soirée sur la plage, dont il avait entendu la rumeur. Cette journée promettait d'être géniale.

**

C'est ainsi, dans les rues de Bruges, puis plus tard, sur le sable fin de Coxyde, qu'Estéban et Sean, sans s'en apercevoir, tissèrent les débuts d'un lien bientôt indestructible.

Coup de foudre à l'internat - SEANxESTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant