Prologue

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À peine vais-je laisser un nom qui frappe l'air.

Peu m'importe. Au gré de mes destins, j'ai mon cours achevé*.

Si le ciel l'avait voulu, je serais née princesse, mais le ciel a bien fait car je suis née fille de la Halle et suis devenue comédienne.

Au Siècle des lumières.

Oh ! Je suis bien vieille aujourd'hui. La mort approche. Ma vieille tête me fait souffrir et me chavire ! Il est doux de se ressouvenir de ses passions. Mais qu'il est difficile de les voir si loin derrière soi !

J'étais une de ces reines de la scène. Portées par le public, nous étions des idoles ! Jeunes – Scandaleuses – Insolentes – Fières – Rivales et talentueuses. Chaque soir, nous remettions notre titre en jeu sur les planches. Et chaque soir, la claque nous donnait la victoire ou reprenait notre couronne.

Ha ! Que ne donnerais-je pour passer quelques heures en loge entre mes poudres et mes rouges, à caresser mes costumes et à les revêtir avec volupté. Juste quelques minutes, morte de peur, dans la coulisse, entre les craquements qui s'échappent de la machinerie et ceux de ma poitrine lorsque les trois coups résonnent. Quelques secondes, mon pied, posé dans la lumière des quinquets et l'axe de la terre qui se renverse lorsque les applaudissements crépitent.

Tu peux venir la Faucheuse ! Je suis bien certaine qu'au moment d'abattre ta grande serpe sur ma tête, tu arrêteras ton geste pour te recueillir sur le fil de mes gloires, de mes aventures et de mes amours ! Et tu reviendras de ma vie comme un chat revient de ses équipées nocturnes sur les toits de Paris : rompue de lassitude heureuse, fourbue des plaisirs du hasard et de la fortune. Peut-être alors, me déclareras-tu Immortelle ?


*Sénèque

Muses, filles du Ciel ou les mémoires d'une comédienne au XVIIIe siècleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant