Chapitre 11

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Nous avons parlé pendant environ 1h avec les filles. Elles m'ont aidé à choisir ma tenue, mon maquillage et littéralement tout ce que je pourrais lui raconter. Il est 20h45, et le café n'est pas très loin. Je décide alors d'enfiler mes bottines à talons noires et mon imperméable. Il pleut encore.

Quand je sors, je remarque que les lampadaires de la ville sont allumés. Il fait nuit et j'avoue ne pas être très rassurée. Mais bon, j'ai accepté ce rendez-vous, et même si ce n'est sûrement pas une bonne idée d'y aller, je ne compte pas me défiler.

J'arrive devant le Felicita. Il est 20h58. Eros n'est pas encore là alors je décide de l'attendre au bar.

- Bonsoir, me dit le barman.

- Bonsoir, je lui réponds avec mon meilleur sourire.

Je ne commande rien. Je sais déjà que je ne vais rien boire. Assise au comptoir, je me demande s'il va vraiment venir. Ce serait peut-être mieux s'il ne venait tout simplement pas. Alors que je commence à regretter d'être venue au rendez-vous, je vois Eros rentrer dans le café. Il a l'air perdu. C'est comme si c'était la première fois qu'il se rendait dans ce genre d'endroit. Enfin, c'est la première fois depuis 3 ans. Et je ne peux qu'imaginer comment il doit se sentir actuellement. Je décide enfin de lui faire un signe et il me rejoint au bar.

- Bonsoir, je suis pas trop en retard ?

- Non, t'inquiètes pas. Je viens d'arriver aussi.

Il sait que je mens et que je l'attends depuis 10mn. Je ne sais pas comment il peut le savoir, mais je sens qu'il le sait.

- Tu bois quelque chose ?

- Je vais prendre un soda je pense. L'alcool c'est pas trop mon truc.

Bien sûr que si. C'est juste que je veux garder l'entièreté de mon cerveau pour ce soir.

- Je suis du même avis. En plus, la dernière fois que j'ai bu, c'était il y a 3 ans.

- Oui, c'est vrai.

- Vous souhaitez boire quelque chose ? nous interrompt le barman.

Cette intervention est vraiment tombée au bon moment. Même si Sarah et Cléo m'ont donné pleins d'idées de conversation, je ne suis pas sûre de vouloir lancer moi-même le sujet.

- Je vais prendre un ice tea. répond Eros.

- Un coca cherry s'il-vous-plait.

Ma vie tourne autour de cette boisson je crois.

- Je vous apporte ça tout de suite.

Le barman s'en va et le lourd silence se réinstalle entre nous.

- Bien, sinon, comment t'es-tu retrouvée avocate à mon procès ? Ce n'est pas pour t'offenser, mais tu as l'air jeune et j'ai toujours eu des avocats qui avaient passé la cinquantaine.

- M. Russo ne fait pas beaucoup plus que 30 ans.

- C'est vrai.

- Mais sinon, pour répondre à ta question, j'ai 20 ans et je fais une licence de droit et criminologie en France. Je suis en 3ème année, donc j'ai un stage où je deviens avocate le temps d'un procès. Alors me voilà.

- Tu es française ?

- Ma famille vient de Sicile, mais j'ai principalement vécu en France.

- Je n'ai jamais quitté la Sicile. Je ne sais pas si j'en ai envie d'ailleurs.

- Pourquoi ?

- Parce que ma vie est ici. Certes, ma famille n'est pas bien vue, mais j'ai grandi dans cet environnement. Et je dois avouer que le changement me fait peur.

- Tu pourrais essayer d'aller autre part en Italie.

- Peut-être un jour.

Le silence se réinstalle et tout ce que je veux, c'est m'enfuir. J'étais tellement concentrée sur la conversation que je n'ai pas remarqué qu'on nous avait apporté nos boissons. Je ne sais plus trop quoi dire et j'espère un miracle pour me sauver de ce silence gênant. Mais il n'est pas arrivé.

- Je ne suis pas encore retourné chez moi.

- Comment t'as fait pour te changer alors ?

Je crois que je n'étais pas censée remarquer ce détail.

- Je ne suis pas retourné là où je vis, et où vit ma famille. Mais je suis passé à l'endroit où j'allais souvent avant, et où j'ai laissé quelques affaires.

- Ah oui d'accord. C'est plus compréhensible maintenant.

- Je ne sais pas si je vais retourner chez moi.

- Je pense que tu devrais.

- Pourquoi ? Mon père est mort, et je n'ai aucune envie de me faire bousculer par pleins de questions.

- Je comprends.

- D'un autre côté, je crois que je devrais y retourner. Je ne sais pas quand auront lieu les funérailles de mon père et je n'ai pas envie de les louper.

La conversation n'est pas très joyeuse, mais au moins il y a conversation.

***

L'heure tourne et il est presque 23h quand nousarrivons au point où nous n'avons plus rien à raconter. Enfin au point où nousn'avons plus rien à raconter que l'autre puisse savoir. Parce que je me doutebien qu'il y a pleins de choses que je ne sais pas sur lui, et il y a presque toute ma vie qu'il ne connait pas.

Je commence à être vraiment fatiguée, ma dernière nuit a été courte. A cause d'un homme qui se trouve aujourd'hui en face de moi dans un café, alors qu'il devrait sûrement être en prison. Non, je ne peux pas dire ça. Il n'a rien fait. Et on ne peut pas lui attribuer les crimes de son père.

- Bon, eh bien, je pense que je vais rentrer. On a tous les deux eu une longue journée alors je suppose qu'une bonne nuit de sommeil ne nous ferait pas de mal.

Je sens qu'il n'a pas envie de rentrer, mais je commence réellement à être fatiguée. Je me lève de mon siège et il fait de même pour m'accompagner jusqu'à la sortie.

- Est-ce qu'il y aurait moyen que tu me passes ton numéro ? il me demande.

- Euh oui pourquoi pas.

Qu'est-ce que je fais ? Mon cerveau ne parle plus, seul mon corps agit quand je lui écris mon nom et mon numéro sur un papier et lui donne. Je sens que je vais le regretter plus tard. Car même s'il n'a pas commis les crimes de son père, je ne peux pas avancer le fait qu'il n'est pas né pour être criminel.

Je m'éloigne doucement et, après dix mètres, je me retourne et le voit rentrer dans le bar une nouvelle fois. Il est nocif pour moi mais je ne peux m'empêcher d'être attirée par lui. 

Le couloir de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant