« Et j'étais tombé amoureux d'elle.
Ce n'était pas exactement un déclic. Plutôt comme quand je touche la clôture électrique sans faire gaffe. »
Milo était instable, avant d'être artiste. Aussi équilibrée que cette fille, qui fascinait Ezra lorsqu'il était au lycée. Parce qu'il n'aimait que ça, lui. Les personnes incomplètes, pas très bien dans leur tête, qui faisaient rétrécir ses blessures lorsqu'il était avec. Les hommes et femmes bien dans leurs baskets le faisaient souffrir, avec leur sourire un peu trop sincère et leurs démons aussi gros que son poing. Et puis, ils n'étaient pas très intéressants. Pas comme Milo et sa joie de vivre en tracé de dominos. Nécessitant de l'application, de l'habilité, il ne fallait jamais hésiter, ou le huit que vous veniez de tracer s'écroulait sous votre nez. Ezra l'avait compris lors de leur sixième rendez-vous, que Milo était fragile. Que contrairement à lui, une fissure dans son âme était un trou béant impossible à combler, et qu'une fois blessée, Milo changeait.
Ils sortaient de son appartement lorsque les choses ont dérapé pour la première fois. Ezra l'écoutait parler de son adolescence, des trous noirs dont celle-ci était faite, et moqueur, le brun n'avait pas pu s'empêcher de glisser une main jusqu'aux hanches de Milo pour les lui pincer, en lui lançant un vague :
- Moi j'étais normal.
Milo se figea. Ses pupilles se dilatèrent, ses joues de creusèrent, et avant qu'il n'ait le temps de rajouter quoique ce soit, la bombe à retardement qui reposait au creux de son ventre explosa.
- Tu crois que je suis malade? sa voix était plate, presque trop.
- Quoi?
- Tu, tu crois que je suis malade?
Ses cheveux volaient devant ses yeux, son tee-shirt, trop grand, se gonflait à cause du vent, si bien qu'Ezra mît un certain temps à percevoir son air blessé, ainsi que les cicatrices sur ses bras.
- Je suis pas malade. Je suis pas, malade. D'accord? Je suis pas malade. J'ai jamais été malade.
Comme un disque rayé, Milo répéta ces paroles durant de longues minutes, avant de fondre en larmes, les ongles enfoncés dans son poignet droit.
- C'est toi qui me rend malade, qu'elle avait lâché, rapidement. Avec ton silence, là. Pourquoi t'es là? Qui t'a demandé d'être avec moi? elle ne tenait plus en place, ses mains se resserrant désespérément autour de son corps frêle. C'est eux? Ils veulent quoi? J'ai rien, je sais rien, elle ne s'adressait même plus à Ezra. Les yeux écarquillés, elle ne s'arrêtait plus, repoussant les bras du brun. Je suis rien, laissez moi !
- Milo?...
Et alors qu'il s'apprêtait à caresser sa joue, Milo recula, s'éloignant de lui maladroitement, parce que la distance entre eux n'était pas suffisante et qu'elle, n'était plus présente. Ses pieds la guidèrent au milieu de la route. L'équilibre tangible qu'elle avait essayé de maintenir auprès du brun s'écroulait à mesure que les minutes passaient. Sa vision, troublée par les larmes, son squelette tremblant, et ses bras ballants lui procuraient une sensation étrange. Elle n'était plus là. Et alors qu'Ezra lui demandait de revenir, ses chevilles cédèrent, au coeur des phares de voitures.
Milo n'allait pas bien, elle était morte de chagrin. L'angoisse nourrissait ses inquiétudes, sans jamais percer sa bulle. Et peut-être qu'Ezra aurait du fuir, après ça, mais sa rage d'aimer lui interdisait d'abandonner.
Crac.