Chambre 229

Chapitre 1

- Tu as bientôt terminé ? lança Cassandre derrière le rideau. Je respecte ton temps de réflexion, mais si jamais, d'aventure, tu songeais à passer la seconde, j'approuverais totalement. Je dois vraiment aller acheter une paire d'escarpins broyeurs de pieds que je devrai mettre au mariage de ma cousine, et il est cinq heures...
- J'y suis presque ! fis-je en riant.
Je me tortillais pour rentrer dans ce maillot de bain. Je ne comprenais pas pourquoi il m'était si difficile de l'enfiler. Je vérifiai une dixième fois la taille. Un 36. Comme d'habitude. Pourtant, il me boudinait de partout.
Il était vrai que je n'avais pas essayé une tenue aussi légère depuis des mois. Je m'étais sans doute laissé aller cet hiver. Rien d'irréparable. Ou bien les modèles de cette marque étaient coupés différemment.
Cassandre tira légèrement le rideau et passa sa tête à l'intérieur de la cabine. Son expression signifiait clairement que quelque chose n'allait pas.
- Soit je suis énorme, soit ce maillot est minuscule, marmonnai-je.
- Tu as bien pris du 36 ?
Elle jeta un coup d'œil l'étiquette.
- Ah, je comprends mieux. Ne t'inquiète pas, les modèles de cette marque sont tous destinés à des mannequins anorexiques. Même Fleur aurait du mal à rentrer dedans.
Je souris amèrement. Fleur était une de nos connaissances au lycée, mais elle avait été hospitalisée il y a deux mois et nous ne l'avions pas revue depuis. Fleur était anorexique.
- Pardon, j'ai dépassé les bornes, dit-elle précipitamment. Je suis désolée.
- Ne t'inquiète pas. Je ne vais rien prendre, j'irai ailleurs.
- Non, ce serait dommage, tu aurais essayé cinq modèles pour rien. Attends, rhabille-toi, j'ai une idée. Je vais faire un scandale.
Je ris, et renfilai mes habits. En sortant, Cassandre attrapa le bikini fautif, fendit la foule, et se planta au centre du magasin.
- Mesdames, mesdemoiselles, et vous autres rares messieurs qui vous êtes sans doute trompés de magasin ou bien qui vouez un culte secret à la lingerie féminine, commença-t-elle de sa voix forte et posée. Je vous fais ici part d'un scandale qui m'a presque personnellement atteinte.
Certains clients avaient déjà sorti leurs téléphones et filmaient la scène. Les vendeuses se regardaient, paniquées, se demandant s'il valait mieux expulser mon amie et s'attirer les foudres des clients, ou la laisser faire. Cassandre tendit le doigt vers moi, à quelques mètres d'elle.
- Mon amie, que voici, a des mensurations de rêve. Elle met du 36 depuis des années. Et pourtant, ce maillot, en taille 36, refuse de lui seoir. De lui aller, si vous préférez. Pourquoi donc ? hurla-t-elle, attirant l'attention des dernières personnes - de toute évidence sourdes - qui ne l'avaient pas remarquée.
D'autres auraient été mortifiées à ma place, mais j'étais bien trop hilare pour penser à rougir du fait que mes mensurations soient clamées dans un grand magasin.
- Parce que cette marque taille ses modèles pour des clous anorexiques avec un tour de taille de quarante centimètres. Ce simple maillot, entre autres, est une des causes de millions de complexes de jeunes filles, de régimes draconiens et de maladies mentales incurables ! Halte au culte de la femme objet et de la taille 32 ! Mort à cette volonté de vouloir maigrir à tout prix !
Son public l'acclama et l'empêcha de continuer. Les vendeuses se décidèrent enfin à l'inviter gentiment à quitter les lieux, mais peu lui importait. Elle avait réussi son coup. Mon fou rire peinait à s'atténuer, et ce furent la tête haute et les mains vides que je quittai le magasin.