Chapitre 2

138 23 0
                                    

- Cassandre, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi tiens-tu absolument à t'infliger cette torture ? Personne ne t'y oblige !
Mon amie était juchée sur une paire d'escarpins aux talons de dix centimètres, et peinait à enchaîner trois pas sans perdre son équilibre.
- Pauline a parié que je ne serais pas capable de mettre des talons toute la journée durant. Tu me connais, susceptible comme je suis, j'ai relevé le défi.
Pauline était sa cousine de vingt-deux ans, qui se mariait le soir même.
- Je comprends, fis-je ironiquement. En attendant, laisse-moi te dire que tu as l'air vraiment pitoyable.
- Je suis sûre que je vais m'y habituer. Je...
- Attends, l'interrompis-je.
- Non, je te promets que je suis capable de porter ces chaussures, j'ai juste besoin d'un peu d'entraînement, et...
- Non, vraiment, regarde.
Je lui indiquai une silhouette à quelques mètres de nous, se tenant devant un grand miroir. Une jeune fille de notre âge, avec de longs cheveux blonds et raides.
- Mais c'est Fleur ! s'exclama Cassandre, beaucoup trop fort.
Évidemment, Fleur l'entendit, et se retourna. Elle nous reconnut immédiatement, et esquissa une ébauche de sourire. Elle était extrêmement crispée, et sans doute gênée de nous revoir après deux mois sans signe de vie de sa part. Nous nous précipitâmes vers elle - après que Cassandre eut retiré à la hâte ses instruments de torture.
- Tu vas bien ? lui demandai-je. Je ne savais pas que tu étais... rétablie. C'est génial ! Je suis tellement contente ! Tu vas bientôt revenir au lycée ?
- Je ne sais pas. Je ne suis sans doute pas encore prête.
- Prends tout le temps qu'il te faudra, lui assura Cassandre. On continue à penser à toi et à rattraper tes cours, tu sais...
- Ce n'est pas la peine. Je vais sûrement redoubler ma première, j'ai manqué trop de cours.
- Tu sais, nous pourrions t'aider ! Moi, par exemple, je te donnerais des cours de maths, et...
- C'est gentil, vraiment, mais je n'en ai pas besoin, la coupa Fleur. Je préfère faire une pause.
Fleur retira ses sandales et ouvrit une boîte à chaussures posée sur une chaise près d'elle, contenant des escarpins identiques à ceux que Cassandre venait d'essayer. Elle y glissa ses pieds.
- Les talons affinent la silhouette, nous dit-elle sur le ton de la confidence. Et Dieu sait que j'en ai besoin.
Elle vit nos regards horrifiés et s'empressa d'ajouter :
- Je sais bien que je suis très mince, mais regardez mes genoux. Ils sont naturellement... obèses. Et il est impossible de mincir des genoux, malheureusement. Alors je mets des talons.
- Tes genoux sont parfaits, Fleur, lui glissai-je.
- Oui, tu n'as pas à t'en préoccuper, renchérit Cassandre. Tu es magnifique, superbe, pas besoin de chercher à mincir.
Les pommettes de Fleur rougirent légèrement, et je la sentis se tendre.
- Allez-vous-en, souffla-t-elle.
- Pardon ?
- Allez-vous-en, tout de suite ! siffla-t-elle. Je ne veux pas de vos mines inquiètes et effarés, de vos murmures peinés et de vos compliments hypocrites !
- Mais... protesta Cassandre.
Je posai ma main sur son bras pour lui signifier que nous devions partir.
- LAISSEZ-MOI, rugit-elle.
Cassandre consentit enfin à s'éloigner, attrapa la boîte contenant ses escarpins, et passa en caisse sans demander son reste. Elle ne prononça pas un mot sur le chemin du retour, et au moment de nous séparer, je vis une larme perler sur sa joue.

Chambre 229Où les histoires vivent. Découvrez maintenant