Je sortis mes clés, en glissai une dans la serrure, et la tournai machinalement. Je poussai la lourde porte d'entrée, qui consentit à s'ouvrir après deux tentatives seulement. J'avais toujours eu du mal avec elle.
- Home sweet home... marmonnai-je.
En réalité, j'étais loin d'apprécier cet endroit. Certaines pièces étaient bien trop spacieuses, froides et impersonnelles, et me mettaient toujours mal à l'aise. D'autres, à l'inverse, étaient si étroites que j'avais l'impression d'étouffer à l'intérieur. Il n'y avait autant de lumière que je l'eusse souhaité, le parquet craquait à chacun de mes pas, les portes se refermaient avec peine, et les meubles en bois faisaient un vacarme épouvantable la nuit qui m'avait empêchée de dormir toute mon enfance.
Je vivais là depuis toujours, pourtant. J'aurais dû m'habituer. Il s'agissait de la demeure familiale depuis des années, une vieille et gigantesque maison qui abritait mes grands parents maternels, mes deux tantes, leurs maris, leurs enfants, ainsi que mes propres parents.
La maison était pourtant terriblement silencieuse, comme déserte. Isabelle et Charlotte, les deux sœurs de ma mère, avaient en effet choisi de placer leurs enfants respectifs dans des pensionnats, de sorte que je ne les voyais que pendant les vacances scolaires.Ce soir-là, la maison était réellement vide, pour des raisons que j'ignorais et qui m'importaient peu. Je montai plusieurs volées d'escaliers et arrivai enfin jusqu'à ma chambre, au troisième et dernier étage. Elle était une sorte de havre de paix à mes yeux, le seul endroit où je ne risquais pas de croiser le regard réprobateur de l'une de mes tantes ou de ma grand-mère.
Les murs étaient crème, et j'avais insisté pour poser une moquette au sol, bien que ma grand-mère jugeât cela "en désaccord total avec la décoration de la maison". Je poussai un soupir de soulagement lorsque mes pieds rentrèrent en contact avec le sol de ma chambre, et me jetai sur mon lit queen size. J'allumai ma grande télévision en ne prêtant qu'une oreille distraite à l'émission diffusée. Une sorte de torpeur m'avait envahie, et me rendait complètement amorphe. Je songeai à me préparer un dîner, mais commandai une pizza, bien trop épuisée pour cuisiner quoi que ce soit. Je ne pouvais cesser de penser à Fleur et à son corps si maigre. Je me souvenais notamment de ses bras, semblables à deux petites brindilles, ou de ses pommettes, si saillantes que l'on eût dit qu'elles étaient prêtes à se détacher du reste de son visage.
Soudain, mon téléphone émit une petite sonnerie, me détachant de mes sombres pensées. J'avais reçu un SMS.Cassandre : Mes pieds sont actuellement décédés, mais la soirée est fort intéressante, j'ai croisé un certain nombre de beaux spécimens masculins. Surtout le grand et magnifique brun à deux heures, je t'envoie une photo. Et toi, tu te remets du maillot de bain ?
J'ouvris la pièce jointe, et hochai la tête d'un air approbateur.
Moi : Je valide le grand brun, tu peux aller lui parler. Quant à moi, je passe la soirée la plus trépidante du siècle - détecte l'ironie dans mon propos.
Cassandre : Je détecte, je détecte. Bon, le grand brun s'est avéré être un cousin, et je suis moyennement à fond dans la consanguinité. Dommage. Je lui ai parlé de toi, par contre, et il est intéressé.
Moi : Tu n'as pas fait ça ?!
Cassandre : Oh que si. Il a déjà ton numéro.
Moi : Bon... Merci ?
Cassandre : Je t'en prie. Il est tellement beau que ce serait un gâchis que personne n'en profite, et il se trouve que je suis hors-jeu. Quand même, qu'est-ce que je hais la génétique.Je souris et échangeai encore quelques messages avec Cassandre, avant de m'effondrer de fatigue et de sombrer dans un sommeil sans rêves.

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Chambre 229
Novela JuvenilJe ne savais pas qu'il était possible de se sentir à la fois impuissant et consentant. De vouloir arrêter mais de continuer par soi-même, sans que personne ne vous le demande. D'être à la fois le bourreau et la victime. Maintenant, je sais. Je sais...