Chapitre 4 : Gravé dans le temps

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C'est en ces mots que je fis ma déclaration à l'inspecteur Dormont. Il se montrait dubitatif. De toute évidence, il devait penser que les artistes couvaient en eux une certaine folie. Suite à ce que j'avais vu, comment aurais je pu le contredire ? Et puis, ne dit-on pas que " le génie n'existe pas sans un grain de folie " ? Tant de questions assaillaient mon esprit mais aucune ne trouvait de réponses.

Ce César de la police m'informa malgré tout que personne n'avait retrouvé l'immonde peinture dont je faisais allusion. Il ne douta cependant pas de ma sincérité. Selon lui, il existait trois hypothèses à la disparition de mon mentor.

La première : d'aucun aurait eu vent de cette œuvre, se serait introduit chez monsieur Balouje dans l'intension de la dérober. Le voleur serait tombé sur le peintre et une violente altercation aurait eu lieu entre les deux hommes. Puis, comme pour marquer son passage, le brigand aurait immortalisé les derniers instants du vieillard sur une toile avant de s'enfuir avec les preuves et le cadavre. Il reconnu que cette hypothèse s'avérait capillotractée et ne correspondait pas aux éléments retrouvés sur place. Qui plus est, quel excentrique aurait eu l'idée de peindre le portrait de sa victime tout en copiant le style de cette dernière ?

La seconde : L'artiste peignait cette peinture depuis longtemps déjà et venait d'y mettre la touche finale lorsqu'il disparu sans prévenir personne. Cependant, pour une peinture de cette envergure, la quantité de sang nécessaire à la confection devait être immense. Ce faisant, les forces de l'ordre avaient investigué : le médecin Albert Hustin, inventeur d'un procédé de conservation du sang à des fins de transfusion, fut convoqué pour donner quelques informations quant à sa méthode. Le sang pouvait être conservé une vingtaine de jours en y ajoutant du citrate de soude. Et, même si l'hypothèse s'avérait séduisante, elle se confrontait à divers problèmes : d'après les experts, la toile semblait avoir été peinte d'une traite, comme imprimée directement à même le tissu. Qui plus est, le sang collecté ne contenait aucune trace du produit chimique et semblait venir du même donneur. Sans compter que, jusqu'à ce jour, aucun corps exsangue n'avait été retrouvé.

La troisième et dernière hypothèse était que monsieur Balouje avait ramené cette œuvre de son voyage dans la région du Luxembourg. Malheureusement, là encore, rien de concluant n'émergea. Après avoir retracé l'itinéraire du vieil homme, tout portait à croire qu'il n'avait pas pu rapatrier un tel objet. Il s'était rendu à l'Université libre de Vaulésart pour s'entretenir avec un ancien camarade à lui, un certain Oscar Moineau, bibliothécaire au sein de l'Université. La teneur de la discussion tournait autour de certains livres occultes conservés au sein de la faculté dite de l'Etrange. A en croire le conservateur, la discussion fut houleuse. Le peintre tenait absolument à feuilleter les ouvrages en questions mais il ne put y avoir accès. Il ne resta pas longtemps dans la région. Après interrogatoire, la tenancière de l'hôtel où il avait séjourné affirma que l'artiste s'était acquitté des frais de logements et était reparti avec une valise pour seul bagage. Rien d'assez volumineux pour contenir ladite toile.

J'écoutai tout le récit et toutes les hypothèses. Certains éléments m'intriguèrent : d'où sortait cette toile ? Pourquoi du sang avait-il été utilisé pour sa composition ? Où était passée celle que j'avais moi-même aperçue et que nul n'avait retrouvé ? Que cachaient les livres que mon mentor souhaitait consulter ? Je n'arrivais pas à y voir clair et de toute évidence, la police non plus.

On me congédia tout en m'indiquant que je serai tenu informé en cas d'évolution du dossier. Je rentrai donc à mon modeste appartement tout en continuant de cogiter. Sur place, je repensai au temps que nous passâmes ensemble et aux différents enseignements qu'il m'avait transmis. Ses anecdotes, ses divagations sur les mythes et légendes me revinrent en tête. Et si, finalement, ce tableau voilé que j'avais aperçu, se pourrait-il que mon professeur ait pu lui donner vie ? Cette créature infecte se serait extraite du tissu avant d'enfermer le vieil homme dans la toile à nouveau vierge ? 

Je trouvais l'idée effrayante, surtout en me remémorant cette sinistre illustration de mon mentor. Si cette divagation de mon esprit s'avérait juste alors le rêve de ce grand peintre était devenu son pire cauchemar. Un cauchemar à jamais gravé dans le temps, un lavis aux couleurs écarlates, un Autoportrait de l'effroi.


Autoportrait de l'effroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant