Je m'abstiens du ton accusateur, et froisse mes pensées les plus déplacés. Et je me dis qu'un plan, il y en a certainement, et qu'une épreuve, est celle que j'endure. Je me berce de cette pensée, je la chérie, la tâte, et la rembobine. Je m'y accroche, et je m'y frotte et je m'y plonge.
La société m'a rejeté, la religion l'a félicité, et Satan m'a recueillis. Le monstre de la débauche, assis, au coin de mon lit, m'observe et compte l'attente. Il se secoue, se secoue, se secoue, et s'arrête soudain attendant ma réaction. Puis se remet à se secouer, se secouer, se secouer. Son apparence se fond en un mirage cynique et diabolique. Ses cornes et son corps s'effacent pour laisser place à ce qui semble être un miroir. Et je m'y vois, moi son plus fidèle disciple. je m'en approche et le monde s'ouvre. Des cris aigus s'échappent en une harmonie angélique, et crient, crient à la force de leur excès. Et je les vois, ces pêcheurs danser au rythme des secousses, et s'élancer avec espoir vers mon miroir.
Leurs yeux ne trahissent plus d'émotions, plus d'humanité. Seule le vide de la souffrance les ronges et les excite. Le châtiment diabolique dévore leur carcasse et voila qu'ils sont renouvelés. Et ils reprennent leur opéra de plus belle, et sautillent avec la même énergie. Les flammes les accompagnent, les suis du bas vers le haut et dessinent avec brio leur chorégraphie.
Je décide de sortir du silence et tend la main à Satan. Il arrête soudain son action, regarde mes pupilles rouges, rouges de peur, rouges de honte. Et jubile, ricane, s'émousse, sautille et me prends en son sein. Il me promet que son estime de mes actions dépasse toute autre importance et m'invite en son Royaume clandestin.
-Satan, m'as tu fais souffrir, que je t'ai suivie, m'as tu promis du plaisir que j'en ai joui, alors que fais-je sous cette chaleur extreme? N'ai-je pas été un élève obéissant? et n'ai-je pas fournis, avec la même ferveur que les croyants du Ciel, ma servitude la plus sincère?
-Bien entendu, pêcheur, sais-tu pas, cependant que le rouge du feu ne fait de la chair un plat tendre qu'un certain temps très court?
-Oui, et donc?
-Et qu'arrive t-il lorsque l'on laisse les flammes sans régulation sur la chair?
-Elle brûle
-Elle brûle. Tu vas brûler. Vois-tu maintenant, jeune pécheur, ta différence? En suivant le chemin noir du plaisir, tu t'es retrouvé devant mon palier. Et tu voyais encore une lueur, une petite lumière. Mais tu as fais le choix de poursuivre. Et voilà que ta figure me fait face, et que ta peau part en fumée.
Il glisse d'un mouvement gracieux et doux, ses doigts grotesques dans les miens. Et me voila descendant les marches de l'enfer, où mes semblables font la fête. Un pas après l'autre, une figure luisante se met à prendre forme devant mes yeux. Je ressens dès lors la berceuse légère de la vie, et je m'effondre et je pleure. La figure achève sa transformation. C'est le regret. Il s'avance vers moi, d'un pas lent et calculé, et me caresse le visage.
-Alors, le désir en valait-il cette peine? Dis moi. Dis moi tout, pêcheur , prends moi dans tes bras, embrasse moi, enlace moi, intègre moi en toi, pécheur. Je ne te quitterai plus à présent.
Satan entend la voix du regret et s'amuse de la réussite de son entreprise. Maintenant, tout deux s'avancent vers moi, le diable, et mon dernier sentiment. Leurs lèvres s'étirent et affichent ce qui semble être un sourire.
"Maintenant, descends". je quitte la dernière marche et foule le sol de l'enfer. Le regret grandit et grossit, devient ciel et terre, devient tout l'univers. Et me dis, et me répète et me torture. " Alors, le désir en valait-il la peine?". Il le répète à nouveau mais je ne l'entends plus. Mes pieds s'élèvent d'eux même pour échapper aux flammes et je crois les entendre me maudire de les avoir trainés ici. Ils se soulèvent et retombent, et me voila dansant la chorégraphie des damnés. Je saute et m'effondre et glisse et me relève et crie et pleure et rejoint l'harmonie gargantuesque des pêcheurs.
Et de là, en pleine exécution de ma chorégraphie divine, j'aperçois au loin un homme et sa femme, ma mère et son mari. Ils observent avec effroi le destin tragique de leur enfant et s'interrogent et sanglotent. Leur fils, autre fois sage et conséquent, sautille et brule et sautille et tombe, et sautille et pleure. Ses yeux perdent la raison, la vie et se mélangent à la mosaïque collective. Satan, à la vue d'une telle pièce, fuse de satisfaction et ricane de plus belle.
Il sourit, enfin, car ma présence n'aura nécessité que ma simple existence. Mon premier souffle a suffit. il m'a démarqué et m'a inscrit dès lors sur la liste des damnés. Satan ricane une dernière fois de cette injustice, puis s'élève et s'apprête à accueillir mon prochain, mon semblable.