Chapitre 18

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PDV LAURENE


Je ne suis vraiment pas une actrice. Je suis déjà pressée que la journée se termine. Moi qui voulais être tranquille, je vais être là à attendre que les autres me racontent leurs petits problèmes de séduction. Ma tête s'alourdit rien qu'à cette idée. J'allonge mon bras sur le dossier du fauteuil en prenant mes aises parce qu'il ne me reste plus que ça à faire.

‒ Laurène tu joues la séductrice. On verra si tu es convaincante, indique Clara.

Louise pousse un soupir de soulagement qui me donne envie de bien jouer mon rôle pour qu'elle succombe vraiment à mon charme. Elle l'aura voulu. Je ne vais pas lui laisser la possibilité de sortir la moindre réplique et pire encore, je vais bousculer toutes ses pensées.

‒ Première scène ! lance Clara en tapant dans ses mains.

‒ Et dernière, précisé-je.

Notre professeure me fait un clin d'œil rapide qui m'encourage vraiment à faire succomber la coupable (c'est de sa faute si on doit faire tout ça). Le soleil bat son plein dehors mais je plonge mon regard dans celui de ma future conquête, ce qui me permet de me créer une ambiance directement.

‒ Salut, je dis sans la lâcher des yeux, tout en détaillant la matière de sa chemise.

Mes pupilles balaient sa silhouette, de ses lèvres à son short. Je ne m'en étais pas rendue compte jusque-là mais j'aurais pu le faire avant cet exercice, ça ne m'aurait pas déplu. En revanche, je ne sais pas ce qu'elle en pense et j'avoue que mon cœur palpite. C'est rare que je sois stressée dans une telle situation.

Normalement je maîtrise, cependant je crois que le fait que ce soit un exercice me bloque.

‒ Salut, répond-elle doucement.

‒ Stooop, intervient Clara.

On la regarde, surprises.

‒ Ça n'allait pas ? demande Louise.

Ce qui me fait totalement revenir sur terre.

‒ Le jeu de regards et de lèvres pincées marche très bien pour vous deux ! Bravo ! Vous avez réussi à faire monter la température d'un cran. Mais ça n'est d'aucune utilité pour l'exercice puisque vous ne faites pas d'erreur de ce que j'ai pu en voir. Ça commence très bien. Vous êtes superbes toutes les deux. Mais il faut corser les choses, dit Clara.

Je suis vraiment déçue d'avoir été interrompue. C'est comme si j'avais la bonne réponse pour la première fois mais qu'on ne me donnait pas la parole. Je suis frustrée et Clara ignore le regard noir que je lui lance. Elle ne pense qu'au boulot, si bien qu'elle nous donne de nouvelles consignes.

‒ Très bien, on va changer de méthode... Tout en posant son index sur son menton, elle prend le temps de réfléchir. Louise, tu vas jouer le client qui vient demander conseil à Laurène. Il croise une fille tous les jours sur son lieu de travail et il ne sait pas comment l'aborder. Il aimerait des conseils.

Je n'ai qu'à me laisser guider par Louise ce coup-ci. Celle-ci prend les consignes à cœur : elle se lève et marche jusqu'à l'autre bout du hall, là où commence l'escalier. Sa démarche n'a rien à envier à un mannequin (elle exagère les traits ce qui me fait sourire) puis revient vers nous en me serrant la main et en s'exclamant « bonjour madame » comme si nous avions des spectateurs. C'est beaucoup moins intime que tout à l'heure mais nous sommes toutes les trois plongées dans la scène comme si nous la vivions.

‒ Bonjour monsieur David, je réponds.

Ce qui la fait glousser tandis que Clara n'en loupe pas une miette.

‒ Asseyez-vous, je vous prie.

‒ Merci. Alors euh... je suis là parce que...

J'éclate de rire et elle me fusille du regard.

‒ Je suis là parce que je suis amoureux d'une fille ! lance Louise avec des éclairs dans les yeux.

Elle semble beaucoup plus déterminée tout à coup.

‒ Très bien, et quel est le problème ? je demande naturellement.

‒ Le problème, madame (elle appuie sur ce mot), c'est que cette fille ne m'aimera jamais.

Est-ce que je vais devoir tirer les vers du nez à Louise/ David tout du long ? Je crois que les deux personnages ne font pas un bon mélange. C'est très agaçant.

‒ Qu'est-ce qui vous fait dire qu'elle ne vous aimera jamais, Monsieur David ?

J'insiste sur le « Monsieur David » parce que ça me fait rire.

‒ Parce que c'est impossible !

Et c'est reparti.

‒Pourquoi impossible ? je demande par obligation.

C'est bien parce que c'est Louise que je n'envoie pas balader monsieur David parce qu'un client qui joue à ça avec moi ne sera plus mon client dans les secondes qui suivent. Mais là... c'est Louise.

‒ Parce qu'elle est lesbienne ! s'écrie David ou Louise, je ne sais plus très bien. Sa voix se brise sous l'effet du jeu d'acteur ou d'une émotion.

Coup de théâtre ! Clara porte une main devant sa bouche grande ouverte face à ce drame sentimental. Et moi, je retiens mon souffle. Je prends quelques secondes pour encaisser le coup. Ce n'était pas le rôle qu'elle était censée jouer. Pourquoi elle a dit ça ? Tout se bouscule dans ma tête.

‒ Effectivement, dans ce cas-là je ne peux pas faire grand-chose pour vous monsieur... Je peux cependant vous conseiller d'en parler avec quelqu'un afin de dépasser cette épreuve, si douloureuse soit-elle. Il y a les amours impossibles qui deviennent possibles à la fin d'un roman et il y a de vrais amours impossibles qui ne commencent jamais dans la réalité...

Je viens de plomber l'ambiance qui n'avait pas besoin de ça.

Louise/David baisse le menton.

‒ J'aurais aimé être une femme et lesbienne juste pour être avec elle... (il/elle déglutit) mais je suis un homme.

Cette phrase s'achève dans un soupir. Et le rideau tombe.

‒ Alors, si je peux me permettre, commence Clara, la situation était pour le moins... inattendue, tout en dévisageant curieusement Louise. En effet, cette tournure n'était pas prévue, ce qui n'est pas plus mal car cela a rendu l'exercice plus difficile pour Laurène mais c'est d'autant plus bénéfique pour s'entraîner. Laurène, tu as bien réagi en admettant que tu ne pouvais rien faire dans cette situation et ça c'est très important de le reconnaître. Effectivement, si elle est lesbienne, elle ne changera pas pour devenir hétéro. C'est clair et net. Et le but est de le faire comprendre au monsieur en question.

Après une heure de cours supplémentaire, Clara nous demande si nous avons d'autres questions.

‒ L'équipe a trouvé une nouvelle fusée ? demandé-je en portant une main à ma nuque.

Elle nous doit bien la vérité.

‒ Pas encore, elle répond. Je vous en informe dès que j'ai des nouvelles.

‒ Merci, je réponds.

‒ De nous faire confiance pour jouer les coachs sentimentales, ajoute Louise.

‒ A vous de jouer maintenant. J'annoncerai aux autres que l'ouverture de l'atelier est à 13h00.

OTHER GIRLS (2 tomes)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant