Chapitre 2 - L'ange déchu

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Lorsqu’il reprit connaissance, Peter se trouvait allongé sur un sol relativement duveteux et confortable. Il savoura cette position agréable dans cet environnement silencieux et reposant. Il se souvenait de sa chute dans les escaliers et de la douleur qu’il avait ressentie. Son corps devait être couvert d’ecchymoses, certainement même quelques fractures et une commotion cérébrale. Il n’osait pas ouvrir les paupières, de peur que cela le ramène à la réalité et réveille les blessures. Pour le moment, par il ne savait quel miracle, il se sentait léger et en pleine forme. Un tel sentiment de bien-être ne pouvait prendre fin… jusqu’à ce que le sol tremble. Là, la panique chassa le nuage sur lequel il flottait. Il écarquilla les yeux, se releva d’un bond et manqua de perdre l'équilibre. Heureusement, le séisme cessa.
Il resta un instant immobile, aux aguets d'une nouvelle secousse, mais aucune autre ne survint.
— Quelle journée, ma parole ! grommela-t-il en se grattant le crâne. Elle ne commençait pourtant pas si…
Il se tut et cligna de manière excessive les paupières. Il réalisa qu’il ne devait pas avoir les idées aussi claires qu'il le pensait au premier abord vu ce qu’il avait sous les yeux. Un paysage étonnamment uniforme s'offrait à lui : tout était blanc comme neige. Il était tout bonnement incapable de dire si ce lieu était grand ou petit, simplement qu'il était vide de tout objet et d’un quelconque décor. Sous ses pieds, même le sol était si immaculé qu’il semblait immatériel !
Il fronça les sourcils et entra en pleine réflexion.
— Je dois être dans un rêve lucide ! comprit-il. Enfin !
L’un des nombreux souhaits de Peter était de faire un rêve lucide. En revanche, il l’aurait certainement formulé différemment s’il avait su qu’il aurait dû se retrouver aux portes de la mort pour en faire un. Lors de ce type de rêve, on réalise dans notre propre sommeil que nous rêvons, donnant libre accès à nos moindres désirs et fantasmes. Antoine lui avait une fois confié qu’il en avait fait un une nuit où il se rendait à un rancard avec la sublime Emma Watson. S’il n’avait pas peur qu’Emilie l’apprenne un jour, Peter aurait certainement convoité la même chose.
Il remarqua également qu’il n’avait mal nulle part, ce qui n’était pas si étonnant dans un rêve. Le plaisir que lui apporta toutes ces constatations fondit comme neige au soleil lorsqu’il remarqua qu’il était lui-même vêtu tout de blanc, en parfaite harmonie avec le décor. Une tenue qui n’allait pas sans lui rappeler la manière dont on envisageait les défunts tout juste arrivés au Paradis. Une seconde possibilité lui apparut, bien moins joyeuse.
— Ne me dites pas que je viens de mourir le jour de l’anniversaire de ma copine ! pensa-t-il avec frustration.
À peine avait-il considéré cette idée que ses paroles résonnèrent dans la réalité, comme s’il les avait prononcés dans un micro branché à des enceintes invisibles. Pris au dépourvu par ce phénomène, il sursauta. Une vive colère accompagnée d’une touche d’embarras s’empara de lui.
— Vous vous fichez de moi, là ! fulmina-t-il. Au paradis, on n'a plus le droit de penser quoique ce soit sans que tout le monde en profite ?
Il ne s’attendait pas à une réponse. Il n’y avait aperçu personne aux alentours.
— Je suis désolé de t’annoncer que tu n’es pas mort pour le moment.
Peter bondit de frayeur et émit un cri particulièrement aigu et peu viril.
Il se retourna, à la fois rassuré de ne pas être seul, mais quelque peu déstabilisé : il était certain de ne pas avoir vu qui que ce soit derrière lui. La surprise laissa place à l’incrédulité en découvrant l’homme entièrement nu situé à quelques mètres de lui. Comment avait-il pu le manquer ? Si Peter se trouvait bel et bien au Paradis, il était sûr d’une chose : cet individu n’était pas un ange. Déjà, parce qu’il n’avait pas d’ailes. Un ange sans ailes, c’était ridicule. De plus, il devait mesurer autour des trois mètres, car, même agenouillé, il restait bien plus grand et imposant que lui. Pour le maintenir dans cette position, les bras du géant étaient tendus et entravés par des chaînes fixées au sol qui le gardaient fermement immobile.
La singularité de cette scène laissa Peter coi et il se jura de prendre rendez-vous chez un psychologue s’il était bel et bien dans un rêve. Comme il ne retrouvait pas l’usage de sa langue, il choisit d’examiner rapidement le prisonnier de la tête aux pieds. Peter n’était pas pudique, loin de là : des années à étudier l’anatomie et le fonctionnement de l’être humain avant même de prendre soin de patients dans des états déplorables l’avaient immunisé.
Le buste de l’inconnu était massif et prodigieusement sculpté si bien que Peter aurait pu nommer tous les muscles de sa poitrine, de son cou et de ses larges épaules. Même ses bras et ses abdos ne dévoilaient aucune graisse, à l’image de certaines statues à l’effigie d’Hercules. Cet individu, quel qu’il soit, devait passer ses journées à la salle et avoir un régime alimentaire hyper protéiné. En plissant les yeux, Peter crut distinguer un halo doré danser le long de sa peau, comme les rayons discrets d’un soleil.
Une interminable et vieille cicatrice barrait son torse, de son pectoral gauche à sa hanche droite, rendant du point de vue de Peter l’inconnu encore plus intimidant, quand bien même il ne pouvait pas bouger. Il dégageait un charisme et une présence si oppressante que le jeune parisien en avait les jambes en coton et peinait à respirer. La tête de l’individu pendait en avant si bien que ses longs cheveux châtains, presque blonds, tombaient en cascade et dissimulaient son visage.
En étudiant la physionomie du géant, trois détails désarçonnèrent le futur médecin : il n’avait pas de nombril ni d’organe sexuel apparent. Entre ses cuisses, la peau était tout simplement lisse, sans la moindre trace d’un quelconque orifice. S’il avait semblé évident à Peter qu’il s’agissait d’un homme, c’était à cause du timbre de sa voix et de sa musculature bien trop massive pour que ce soit celle d'une femme qui n’aurait pas pris des dopants bourrés de testostérone. Il s’avérait également que de ses poignets entravés coulait ce qui ressemblait à un liquide doré, bien loin d’un sang rouge foncé.
De plus en plus inquiet et dérouté, Peter jeta des coups d’œil aux alentours pour être sûr de ne pas avoir manqué quelqu’un ou quelque chose. Après tout, le géant ne pouvait s’être enchaîné seul. Pourtant, il ne vit personne d’autre, même si l’idée de se trouver isolé avec cet individu n’était pas pour le rassurer. Il hésita sur la démarche à suivre : s’avancer, rester silencieux et immobile ou s’éloigner ? Il avait la troublante impression d’être en présence d’un fauve en cage et d’être une craintive souris qui risquait d'y laisser sa queue en s'approchant. Toutefois, une part de lui se demandait également si ce n’était pas une sorte de test d’accueil au Paradis : libérer un géant enchaîné. Il regretta amèrement de ne s’être jamais intéressé aux textes religieux.
Avant de parvenir à prendre une décision, l’inconnu s'agita. Il étira son dos et son cou, avant de pousser un profond soupir.
— Ta peur et ton incertitude m’agacent, mortel, gronda-t-il.
Il gardait obstinément la tête baissée, mais Peter constata que les muscles de ses jambes étaient tendus, comme s’il se retenait de se jeter sur lui.
— Maudits soient les serments… jura le prisonnier. Voilà que je me retrouve assujetti à l’esprit d’un vulgaire enfant à cause de ma sottise. J’espère que tu as savouré tes années de liberté, Peter Leroy, elles touchent à leur fin.
Un silence s’ensuivit. Inconsciemment, devant son agacement, Peter avait reculé de deux pas, quand bien même il se trouvait hors de sa portée. Son instinct de survie l'alertait qu'il n'était pas en sécurité. Puis, le sens des propos de l'individu atteignit son cerveau et, malgré son inquiétude, il fronça les sourcils.
— Je rêve où ce type vient de me menacer ? s'indigna-t-il.
Malheureusement, il avait oublié qu’il n’était plus en droit de réfléchir sans que tout le monde en profite et sa remarque résonna comme si ses pensées étaient branchées sur un ampli. Ce fut à son tour de pester à haute voix.
— Menacer ? répéta le géant d’un ton pince-sans-rire. Menacer signifierait que j'ai besoin de t'intimider par les mots, alors que ma simple présence te fait trembler comme une feuille. Un Immortel ne menace pas, il prend ce qui lui est due.
L’agacement que commençait à lui inspirer le prisonnier éclipsa l’anxiété que pouvait ressentir Peter et l’aida à retrouver l’usage de ma bouche.
— Je me fiche de vos conneries ! Je veux savoir où nous sommes ! Et puis vous êtes qui d’ailleurs ?
Le corps du géant fut traversé de soubresauts et il produisit un son rauque. Au départ, Peter crut qu’il était en train de s’étouffer avant de réaliser qu’il riait. Sans prévenir, l’individu releva la tête et planta son regard dans celui de l’étudiant avec une intensité qui réduit en fumée sa prise de confiance momentanée. En découvrant son visage, Peter, les yeux ronds, frissonna et émit un mouvement de recul.
Ses traits étaient bel et bien masculins, accompagnés d'une barbe claire et garnie. Puis, l'on remontait vers son nez busqué, légèrement recourbé, avant de terminer sur ses yeux. Ou plutôt, là où ils auraient dû se trouver. Il n'y avait que deux globes dorés qui remplissaient totalement ses orbites telles des étoiles embrasées capables d'atomiser l’âme de quiconque aurait l'audace de les fixer. Peter se demandait comment cette personne pouvait le voir avec des yeux aussi étranges, pourtant il était certain qu'il le distinguait avec précision.
La gorge sèche, Peter se sentait incapable de détourner le regard. Il ignorait à quel moment son cerveau avait décidé de jeter l’éponge. En tout cas, ce face-à-face fut l’expérience de trop, laissant libre-court à son effroi. 
Il hurla à plein poumon.

Le réveil des ImmortelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant