Partie 1

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Cette nuit là, elle n'était ni heureuse ni malheureuse... Son visage était neutre et vide, pourtant ce n'était pas un jour comme les autres mais elle avait été préparée toute sa vie pour ce jour. Ce soir là, il faisait plus noir que d'habitude, la lune était presque invisible, il n'y avait aucune étoile dans le ciel, c'était une nuit morose et fade. Elle traversa cette porte accompagnée par une petite foule, la fête se devait d'être discrète voire silencieuse, les choses devaient se faire et vite, il ne fallait s'attarder à la nouveauté, Non! Elle devait s'habituer au plus vite, prendre ce rythme de vie, il n'y avait aucun besoin d'introduction, elle était née pour cela.

D'après l'adage, des voisins de longue date deviennent des membres de la famille, c'est ce qui est arrivé à la famille Kanté et Diallo. Ils étaient là quand Tivaouane Peulh était encore désert, les deux familles se connaissaient. Les pères de famille se retrouvaient tous les jours, à l'aube, à la mosquée, c'était une habitude, père Abou et père Lamine étaient devenus inséparables surtout après leur retraite, ils se retrouvaient dans les grandes places où ils s'asseyaient et papoter toute la journée de tout et de rien. Leurs femmes aussi se côtoyaient, elles faisaient partie du même "tour" (tontine). L'ainé de père Lamine, Amadou est devenu âgé, il a immigré en Europe, en Italie par bateau et exerce un petit boulot au noir là-bas car il n'avait pas de papier légal. Il s'en sortait difficilement, aucun diplôme, aucune maîtrise de la langue, le travail au noir était atroce, il subvenait difficilement à ses besoins et à celle de sa famille. Il travaillait comme vendeur de sacs fausses marques sur les plages italiennes avec ses semblables ("kou ndieuk youkhou danga ragual"). Il était temps pour lui selon la tradition de prendre une femme, et comme à l'accoutumée c'est sa mère qui va se charger de choisir sa future belle fille. Mère Awa ne réfléchît pas longtemps, c'était une évidence, son fils Amadou marierait la fille de Mère Soukey et de père Abou. Cela ne ferait que renforcer les liens entre les deux familles. Le mariage de Rabia et Amadou était très vite bouclé, les choses ne devaient traîner, Père Abou et père Lamine ont scellé ce mariage ce Mercredi là, on aurait presque dit que père Abou voulait se débarrasser de sa fille, son unique fille, il n'a même pas jugé bon de la prévenir, en même temps qu'est-ce qu'elle dirait?, elle n'oserait pas aller à l'encontre de son père, elle n'oserait même pas parler, l'heure était venue d'accomplir sa tâche et elle y était préparée alors pour quelles raisons cela se passerait mal?

La petite fête ne dura pas éternellement, elle était même brève, un peu trop, sa badiene (tante du côté du père) lui fît les rituelles traditionnelles, c'est comme cela que cela se passait, sa mère n'était pas là, non, elle, elle attendait autre chose. Petit à petit, la petite foule se dispersa, il ne resta plus que sa petite cousine avec qui elle a vécu dans la maison de son père, et qui serait sa dernière compagne pour une semaine avant de la laisser avancer dans les profondeurs de la solitude. Sa badiene la coucha dans son lit avant de partir. Ce lit à même le sol, on pouvait sentir l'humidité à travers le drap ou à travers le toit de la chambre en zinc, l'odeur de la pauvreté était forte mais le Thiouraye (encens) la masquait au mieux. Elle était sur ce lit mais seule, où est l'homme? Cet homme qui devait disposer de son corps ce soir là, qui devait caresser son visage si innocente, si pure, son corps doux jusque là inaccessible, elle était à fleur de l'âge, cette belle fleur qui si on la laissait sortir créerait une foule qui voudrait la cueillir, la chérir mais cette fleur était destinée à faner, à faner dans cette chambre si vide, dans cette chambre perroquet où personne n'oserait révéler ses secrets. les murs les dévoileraient.

_ Toc toc toc. C'était mère Awa qui venait réveiller sa belle fille.

La petite maisonnée était calme, personne n'était encore réveillée mais Mère Awa devait profiter de cette matinée pour préparer sa belle fille au "dieul ndiel" (fête pour commencer à cuisiner). Rabia était habituée à ces réveils matinaux, elle était réveillée de la même manière par sa mère, à 5h du matin, elle devait prier et s'adonner à ses tâches quotidiennes longues, répétitives, épuisantes.

Celle Qui Ne Disait Rien: Yoonou ndaw Où les histoires vivent. Découvrez maintenant